Si les pièces de l'Irlandais Dennis Kelly sont jouées au Québec, c'est beaucoup grâce à l'intérêt du directeur artistique du Théâtre de la Manufacture, Denis Bernard, et au talent de l'auteure Fanny Britt, qui a traduit à ce jour quatre pièces de l'auteur: Orphans, After The End, DNA et maintenant Love&Money, présentée à La Licorne.

Après les mises en scène inspirées de Maxime Denommée dans Orphelins et Après la fin, c'est au tour de Geoffrey Gaquère de se frotter à l'écriture sous tension de Dennis Kelly. Un texte paru en 2006, comme une prémonition de la crise économique mondiale qui a éclaté deux ans plus tard.

«Amour/Argent est une pièce qui parle de nous à travers le prisme de l'argent», indique Geoffrey Gaquère. Comment l'être humain, poussé dans des situations extrêmes, interagit avec les autres en fonction de l'argent? Le constat de Kelly est impitoyable. Et pourtant, il ne juge pas les personnages, il ne fait pas leur procès.»

C'est Fanny Britt qui a lu le texte la première, précise le comédien et metteur en scène. «Avec notre compagnie [Théâtre Debout], on cherchait justement à monter une pièce qui parlerait de notre époque, de notre psyché humaine. Le texte de Kelly va parler à tout le monde, parce qu'on vit tous dans ce système.»

Le récit d'Amour/Argent est centré sur un couple en situation de surendettement, David et Jess, qu'interpréteront Patrick Hivon et Marie-Hélène Thibault. La pièce est découpée en sept scènes. À mesure que leur histoire nous est racontée, on comprend que les personnages de la pièce ont un lien direct ou indirect avec le couple...

Dès la première scène, on apprend le suicide de Jess. Toutes les scènes qui suivent nous plongent dans le quotidien du couple avec des retours dans le temps. L'auteur nous éclaire sur les dérives qui ont mené à ce suicide. «Le spectateur doit coller les morceaux ensemble», prévient le metteur en scène.

Au fil du récit, on rencontre entre autres les parents de Jess dans un cimetière (Benoît Dagenais et Danielle Proulx); l'ex de David (Isabelle Roy) qui l'humilie lorsqu'il prend contact avec elle pour obtenir un emploi; et Duncan (Mathieu Gosselin), petit truand de la «porn» qui multiplie les propositions indécentes...

«Toutes les scènes montrent le vide dans lequel se trouvent les personnages, mais aussi leurs rapports à l'argent et leur perte de dignité dans le contexte économique où ils se trouvent, indique Geoffrey Gaquère. C'est un texte «rentre dedans», mais aussi écrit avec un certain humour.»

Une des scènes d'Amour/Argent porte sur le crédit et l'endettement. «C'est une leçon sur le capitalisme, détaille Geoffrey Gaquère. C'est comme si Dennis Kelly nous disait: «Je vais vous mettre face à une réalité que vous connaissez bien. En sortant du théâtre, vous allez continuer à y penser.»»

En clair, il y a ceux qui sont capables de payer et les autres, résume le metteur en scène. «Il y a un choeur qui s'adresse directement au public. Qui seras-tu? demande-t-il. Celui qui sera sur le banc ou celui qui aura du pouvoir? Celui qui est baisé ou celui qui baisera les autres? Parce qu'à la fin, ce sont nos avoirs et nos dettes qui déterminent qui on est.»

Un autre exemple parlant? Dans une scène, Jess se retrouve à l'hôpital après avoir été témoin d'un incident. Un homme se fait bousculer accidentellement. Son iPhone 5 tombe, puis se brise. Furieux, l'homme sort un couteau et poignarde son voisin. «À ce moment-là, le personnage de Jess ne comprend pas le sens de la vie...» dit le metteur en scène, qui reprendra son rôle de Lénine l'automne prochain dans Moi dans les ruines rouges du siècle.

La pièce se termine par un monologue. «Est-ce que notre vie se résume à l'argent? demande l'auteur. N'y a-t-il rien de plus grand? Si on existe, si on a la chance d'avoir la vie, est-ce qu'on ne pourrait pas penser à une intention, un mystère qui vaut plus la peine? À quelque chose qui donnerait un autre sens à notre existence?»

Du 1er au 27 avril à La Licorne.