Depuis 15 ans, la comédienne Kathleen Fortin a joué dans plus de 40 productions au théâtre, et de beaux succès tels que Belles-Soeurs, Chicago, Cheech et Les Misérables. Pourtant, on a l'impression de la découvrir à chaque nouvelle pièce

Avec son physique imposant et son visage rond, Kathleen Fortin se doutait bien qu'on ne l'appellerait pas pour jouer des nymphes, des ingénues ou des jeunes premières quand elle a commencé dans le métier, à la fin des années 90. Mais la comédienne a toujours été encouragée par ses pairs et n'a jamais connu de période creuse.

«Quand j'étudiais à l'École nationale de théâtre, André Brassard m'a transmis le feu sacré du métier, ditelle. Depuis, je travaille sans relâche. Je fais quatre productions théâtrales par année en moyenne. Et j'ai incarné toutes sortes de personnages.»

Il faut dire qu'en plus de la qualité de sa présence scénique, la comédienne a aussi une voix magnifique, parmi les plus belles du théâtre musical au Québec ! Cette voix lui a bien sûr ouvert des portes. Fortin a fait partie d'une demi-douzaine de comédies musicales à succès, dont l'extraordinaire Belles-Soeurs. La comédienne va d'ailleurs reprendre ce spectacle du trio Bélanger, Cyr et Tremblay, à l'automne, en tournée au Québec. «On va fêter la 200e représentation de Belles-Soeurs en septembre prochain au Monument-National!», se réjouit l'interprète de Des-Neiges Verrette.

Très populaire, l'actrice a travaillé avec les meilleurs metteurs en scène québécois, tels que René Richard Cyr, Claude Poissant et Brigitte Haentjens. Elle leur rend ici une fleur: «J'aime beaucoup la race du metteur en scène. J'adore ces individus curieux du monde et des gens qui les entourent. J'aime leur regard, leur sensibilité, leur âme. Si j'accepte de travailler avec tel ou tel metteur en scène, je plonge de tout mon être et adhère totalement à sa proposition artistique, à sa vision d'une oeuvre.»

Cruel et désespéré

Ces jours-ci, Kathleen Fortin est plongée dans un univers dur et singulier ; celui du jeune auteur et comédien Sébastien David. L'actrice fait partie de la distribution de la création de la pièce Les morb(y)des qui prend l'affiche au Quat'Sous, mardi soir, dans une mise en scène de Gaétan Paré. Un jeune metteur en scène innovateur (lauréat du prix John-Hirsch en 2012) avec qui Fortin collabore pour la toute première fois.

«Dès la première lecture, j'ai été séduite par la langue moderne, crue et très ciblée de la pièce», explique la comédienne. Elle incarne «Sa Soeur», une femme obèse, manipulatrice, dépressive. Accro aux pilules et au Coke, son personnage reste enfoncé dans son sofa à regarder tout ce qui passe à la télévision. «Depuis la mort de leur mère, elle vit avec sa soeur cadette dans un demi-sous-sol d'Hochelaga- Maisonneuve, près d'une usine de levure qui dégage des odeurs fortes et suspectes.» (Cette usine, Lalemand, existe vraiment dans ce quartier.)

«Sébastien décrit une réalité très sombre et désespérée. Mais il y a un souffle qui traverse son texte, poursuit Fortin. Et il y a aussi de l'humour et de la poésie. Un envol...»

«Si t'es capable de tuer du monde, t'es capable de me faire l'amour.» Cette réplique est lancée par Stéphany, la plus jeune des deux femmes (jouée par Julie de Lafrenière). Elle ressemble à un appel au secours qui s'adresse à un tueur en série qui hante Les morb(y)des. Car Stéphany est aussi obèse et «n'a jamais été touchée par personne».

L'obésité et son exposition (il y a de la nudité sur scène) est l'une des caractéristiques des Morb(y)des. L'auteur fait « une réflexion sur les corps atypiques ». Il joue lui-même le personnage de Kevyn dont le corps, maigre et mutilé, est aussi suspect au regard de la société. Kevyn est un scout qui affirme avoir été enlevé par des extraterrestres ( !) et qui va venir troubler la dynamique entre les deux soeurs.

«Il est question du rapport trouble au corps, mais ce n'est pas le thème principal, nuance la comédienne. Plus que l'obésité ou la honte de son corps, c'est l'inertie qui est à mon avis le grand thème. Sébastien [David] a créé des personnages seuls et incapables d'aller vers l'autre. Comme si ces êtres n'existaient pas aux yeux des autres.»

Dans la pièce, Stéphany lira un extrait d'un poème qui a circulé sur l'internet pendant l'affaire du «dépeceur de Montréal» et la cavale de Luka Rocco Magnotta, accusé de meurtre depuis: «Je vais combattre tes démons; guérir ton coeur; pour le rendre meilleur. Je voulais que tu le saches...»

«Il y a deux pôles dans la pièce, résume l'actrice. Cette obsession de l'horreur autour de nous, qu'elle soit banale ou spectaculaire. Et le désir d'en sortir pour aller vers la lumière. C'est une quête universelle.»

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Les morb (y) des, au Théâtre de Quat'Sous, du 5 au 23 mars.