Au simple nom de Pagnol, on pense tout de suite à la chaleur du Midi, à la brise de la mer et à l'accent coloré du sud de la France. Or Pagnol, c'est aussi des personnages touchants, authentiques et vivants, tellement vivants qu'on croirait qu'ils avaient leur propre existence avant d'être sur la scène!

Depuis ses débuts dans le métier, le comédien Rémy Girard rêve de jouer César, l'un des plus beaux rôles de l'auteur de Manon des sources (immortalisé au cinéma par le grand Raimu). «Mais c'est un rôle qu'on fait seulement à mon âge», dit-il en entrevue dans les bureaux du Rideau Vert.

> Voyez les photos des répétitions de Marius et Fanny

Avec son ami, le metteur en scène Normand Chouinard, il a proposé à Denise Filiatrault de programmer une pièce de Marcel Pagnol. Deux pièces, en fait, car la troupe a repris l'adaptation que la directrice du Rideau Vert avait réalisée pour Juste pour rire, en 1993. Il s'agit d'un montage de Marius et Fanny, les deux premiers opus de la trilogie marseillaise, créés sur les planches puis portés au cinéma entre 1929 et 1932. (Les deux pièces feront aussi l'objet de deux nouveaux films réalisés en France par Daniel Auteuil.)

Dans  le vieux port de Marseille, César, propriétaire du Bar de la Marine, vit seul avec son fils Marius. Il le voit comme son héritier derrière le comptoir, à servir des boissons aux clients, heureux et marié à la belle Fanny, la jeune vendeuse de coquillages.

Mais Marius est tiraillé entre son envie de liberté et ses sentiments pour Fanny. Mais l'appel du voyage sera plus fort que l'amour... Il quittera Marseille et prendra le large - non sans avoir commis une faute qui bouleversera l'avenir de ses proches.

«Comme plusieurs personnages de Pagnol, César est un être coloré, très fier et bourré de contradictions, explique Rémy Girard. Il est sanguinet peut passer de la colère à la tendresse en deux secondes! Il a des défauts énormes, mais aussi des qualités énormes. Par-dessus tout, il aime profondément son fils. Et il est meurtri quand ce dernier part sans le prévenir...»

Des mots et des couleurs

Le cinéaste Jean Renoir a écrit que «la parole est aussi indispensable à Marcel Pagnol que la couleur à Michel-Ange».

«Dans cette entreprise de découverte de l'homme, Pagnol est roi. Tout ce qu'il nous dit sur une scène ou dans un film concourt à nous révéler l'essentiel des êtres.»

On n'est jamais plus universel que lorsqu'on est local, avance-t-on souvent au théâtre. C'est vrai pour Michel Tremblay comme pour Marcel Pagnol. À la fin des années 20, quand le plus célèbre des auteurs du Midi, exilé à Paris, a l'idée d'une pièce dont l'action se situerait à Marseille, tous ses amis l'en dissuadent. «Personne ne comprendra au nord des Bouches-du-Rhône, lui dit-on. Et à Marseille, on va croire que tu te moques d'eux et de leur accent...»

L'auteur a heureusement écouté son instinct, et sa trilogie marseillaise fait désormais partie du patrimoine littéraire mondial.

«Pagnol a bien sûr vu juste», dit Rémy Girard, en précisant qu'il est strictement impossible de jouer cette oeuvre sans l'accent typiquement marseillais (un coach supervise d'ailleurs la diction des acteurs). «C'est une musique, une langue imagée, poétique, qui coule de source», dit-il.

Tellement qu'ici et là, durant l'entrevue, le comédien prend subitement l'accent marseillais pour répondre au journaliste! Comme lorsqu'il évoque des répliques célèbres de son personnage: «L'honneur, c'est comme les allumettes, ça ne sert qu'une fois!» «Si on ne peut pas tricher entre amis, pas la peine de jouer aux cartes...»

«Il y a aussi une grande modernité dans Marius et Fanny», avance le comédien. En effet, Pagnol aborde des thèmes contemporains: la famille monoparentale, la sexualité avant le mariage, le choix entre l'amour et l'individualisme, la famille ou la liberté...

«D'ailleurs, poursuit-il, les jeunes acteurs qui incarnent Marius et Fanny [François-Xavier Dufour et Marie-Pier Labrecque] ne jouent pas leur personnage de façon pittoresque. Pour eux, cet amour impossible a une résonnance très actuelle sur la peur de l'engagement des hommes et des femmes de leur génération.»

Comme quoi un classique, c'est un contemporain de tous les temps.

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Au Théâtre du Rideau Vert, à l'affiche du 29 janvier au 23 février.



Rémy Girard en six personnages au théâtre

> Père Ubu/Ubu roi (TNM/2007)

> Falstaff/Les joyeuses commères de Windsor (TNM, 2002)

> Albin/La cage aux folles (Théâtre St-Denis, 2000)

> Sancho Pança/Don Quichotte (TNM, 1998)

> Estragon/En attendant Godot (TNM, 1992)

> Léopold/Marie-Lou - La trilogie des Brassard (Théâtre d'Aujourd'hui, 1991)

La trilogie vue par Daniel Auteuil

Le réalisateur et comédien Daniel Auteuil a terminé, à l'automne 2012, son adapation au cinéma des deux premiers volets de la trilogie de Pagnol. Marius et Fanny sortiront sur nos écrans en 2013 et César sera tourné l'été prochain.