Anne-Marie Olivier nous avait avertis : «Je veux poser de petites bombes»...

L'auteure d'Annette et de Mon corps deviendra froid a le don de montrer la souffrance qui se cache derrière nos sourires de circonstances. Ce sont ses petites bombes à elle. On s'attendait donc à voir une pièce dure et même un peu lourde, et c'est ce qu'on a eu. Mais de cette recherche de vérité qui guide le travail de l'auteure, découle un long poème. Un poème qui explose et tue pour mieux nous faire renaître.

Pas facile au départ de trouver un point d'appui dans ce récit métaphorique touffu qui met en scène trois personnages dans le désordre. Mais une fois la table mise, le poème s'ancre peu à peu dans la réalité. Celle d'Élise, une mère seule qui travaille comme gardienne de prison; de son fils Charles, 20 ans, adepte de jeux vidéos, qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie; et de Dorothée, jeune fille croisée sur la route, qui deviendra l'amante de Charles.

Tous ces personnages, qui narrent par moments leur propre histoire, ont en commun d'avoir vécu des épreuves. Des épreuves qui construisent, malgré eux, leurs identités. Charles apprend qu'il a du sang amérindien; sa mère Élise est victime d'une prise d'otage menée par des détenus; et Dorothée, avant de rencontrer Charles, vit une douloureuse peine d'amour. Face à ces événements, on peut faire comme si rien n'était. Ou faire face à la musique. C'est ce que finissent par faire les personnages de Scalpée.

La mise en scène de Véronique Côté, auteure du très beau texte Tout ce qui tombe, est centrée sur le jeu des acteurs, mais elle est aussi très fine dans l'évocation des lieux et des actions. La scène du dépeçage d'un orignal est particulièrement éloquente... Avec les éclairages de Christian Fontaine, elle parvient à créer des images fortes. Anne-Marie Olivier domine la distribution, bouleversante dans le rôle de la mère. Ses partenaires de scènes, Steve Gagnon et Édith Patenaude, s'en tirent bien, mais n'ont pas la même maîtrise du texte.

Pendant toute la durée de ce poème théâtral, Anne-Marie Olivier multiplie les références au monde animal. À la férocité et à l'instinct de survie des bêtes. Car Scalpée est avant tout une pièce sur la survie. Sans être un guide. Et la vérité, c'est que nous sommes tous dans ce bateau-là. C'est là que Scalpée prend tout son sens. «La cicatrice embellit le front du soldat» écrivait Victor Hugo. C'est ce que démontre Anne-Marie Olivier en nous scalpant! Un exercice qui pourrait ne pas plaire à tout le monde.

Jusqu'au 9 février au Théâtre Espace libre.