La compagnie bilingue et montréalaise Porte Parole s'est drapée d'une noble démarche artistique: produire des pièces de théâtre documentaire en dramatisant des questions d'actualité. Et cela, à partir d'une recherche rigoureuse et d'entrevues minutieuses.

Après Sexy Béton (sur l'écroulement du viaduc de la Concorde à Laval) et en attendant la création de Fredy (sur les événements entourant la mort de Fredy Villanueva en 2008), la troupe nous propose Grain(s), un texte qui relate la longue bataille judiciaire de Percy Schmeiser, un fermier de la Saskatchewan devenu symbole mondial de la lutte contre les OGM, avec la multinationale en biotechnologie Monsanto. L'auteure et cofondatrice de Porte Parole, Annabel Soutar, a écrit Seeds en 2005. Au début de l'année, la pièce a fait l'objet d'une nouvelle mouture et a été présentée en anglais, le printemps dernier, au Festival TransAmérique.

C'est la version française signée Fanny Britt de cette production mise en scène par Chris Abraham qu'on peut voir actuellement au Théâtre La Licorne, avec une distribution en partie renouvelée; tous les acteurs de Seeds n'étant pas bilingues.

David et Goliath

L'origine du contentieux entre ce David de la terre et ce Goliath du capital: des grains de canola génétiquement modifiés et brevetés que le fermier aurait illégalement plantés. Ce dernier plaide que son champ a été contaminé par des semences emportées par le vent ou déversées accidentellement par des camions...

Le sujet est énorme, voire complexe. Il touche à l'éthique scientifique et à l'insatiable soif de gains et de profits des humains. La pièce prend parfois des allures de cours magistral en génétique ou en droit durant la représentation qui dure deux heures trente avec entracte (le texte aurait pu être allégé de quelques scènes inutiles ou répétitives). Heureusement, le travail dramaturgique de Soutar est pertinent et parfois teinté d'humour. La mise en scène inventive et précise d'Abraham rend très théâtral ce sujet ardu.

Au centre de son récit, Soutar a créé un personnage alter ego d'une auteure en quête de vérité, dont le chemin est davantage jonché de doutes et d'écueils que de réponses simples et rassurantes. À la manière d'une journaliste d'enquête, on la voit douter et interroger constamment les deux côtés de la médaille. Bien qu'on devine que sa fascination pour son sujet l'emporte sur le discours corporatif et intéressé de Monsanto. On ne peut pas la blâmer: cet homme qui, à l'âge de la retraite, se lance dans un combat titanesque est une véritable force de la nature... dans tous les sens du terme.

«Pour moi, les mots sont comme des empreintes digitales», dit le personnage de l'auteure dans Grain(s). Avec son texte, Annabel Soutar sème une importante réflexion sur le sens à donner à la vie. Et nous invite à réfléchir au précieux et fragile héritage que nous laisserons quand celle-ci nous aura fait signe de quitter la Terre.

Grain(s) à La Licorne, jusqu'au 22 septembre.