Le théâtre, c'est parfois la jonction entre la petite et la grande histoire. Celle intime des drames qui se jouent dans nos foyers; et celle avec un grand H de ces tragédies planétaires qui marquent les siècles, et tachent la condition humaine.

L'auteure Carole Fréchette s'est lancée dans l'écriture de Je pense à Yu après avoir lu une brève dans un journal sur le triste sort d'un dissident chinois, Yu Dongyue. Ce dernier a purgé une peine de 17 ans de prison pour avoir lancé des coquilles d'oeufs remplis de peinture rouge sur la photo de Mao, pendant les manifestions de la place Tiananmen, en mai 1989. Un processus qui l'a menée, de son propre aveu, dans des «zones inédites» entre fiction et documentaire.

Côté fiction, Fréchette a inventé une sorte d'alter ego, Madeleine (Marie Brassard), traductrice pigiste qui tombe par hasard sur la nouvelle de la libération de Yu Dongyue, en 2006. Et elle devient obsédée par lui! Au point de remettre tout à plus tard: ses traductions pour le gouvernement; ses cours privés de français à une immigrée chinoise (Marie-Christine Lê-Huu); le ménage de son appartement où elle vient d'emménager; sa vie sociale... Car Madeleine est toujours seule jusqu'au jour où un voisin (Jean-François Pichette) débarque chez elle avec un colis postal à son attention. Tout les sépare. Lui est doux, manuel et très réaliste. Elle est révoltée, intellectuelle et utopiste.

Côté documentaire, les créateurs exposent en toile de fond des photos et des dépêches retraçant les événements et les acteurs de ce printemps chinois. Les projections vidéos de David Leclerc (concepteur d'images qui a travaillé avec Robert Lepage et Ex Machina) sont très biens intégrées à la belle scénographie de Jean Bard. Bon flash aussi (quoique trop répété) de reproduire la capture d'écran de l'ordinateur de Madeleine sur lequel on peut lire le fruit de ses recherches sur Google ou la voir composer des lettres à Yu (qu'elle n'envoie jamais).

Or, malgré de bonnes idées et des thèmes forts, il manque une couche dramatique à la pièce, une trame qui aurait donné un peu de crédibilité aux personnages. On reste dans la démonstration, les bonnes intentions, le sentimentalisme. Lin, craintive et endoctrinée par la Révolution culturelle, se retourne sur un dix sous et, du jour au lendemain, arrive chez Madeleine avec une thèse sur les dissidents de Tiananmen. Le pétage de plombs de Madeleine et de Jérémie devant Lin est assez maladroit. La mise en scène de Marie Gignac manque de rythme.

Finalement, de cette production, on peut dire que l'histoire et la politique y sont mieux servies que le théâtre.

Je pense à Yu, jusqu'au 28 avril au Théâtre d'Aujourd'hui.