Occupy Wall Street, la grève étudiante, manifestation pour le Jour de la Terre, l'auteure et metteure en scène Annie Ranger n'avait rien prévu de tout ça. Ces mouvements de contestation donnent toutefois plus qu'un vernis d'actualité à sa dernière pièce, qui interroge l'effet de l'usure du temps sur l'engagement.

La fébrilité d'Annie Ranger est palpable. Avec raison. Sa pièce L'effet du temps sur Matèvina prend l'affiche dans un contexte social imprévisiblement effervescent. Depuis des semaines, des étudiants descendent dans la rue en grand nombre. Le matin de l'entrevue, plusieurs dizaines d'entre eux venaient d'être arrêtés par la police au terme d'une manifestation rapidement déclarée illégale.

«On s'en va vers quoi?», s'interroge l'auteure et metteure en scène. L'effet du temps sur Matèvina ne répond pas directement à cette question, mais en soulève plusieurs autres qui lui sont liées: faut-il tenter de changer le système de l'intérieur? L'attaquer de front dans la rue? Poser des bombes? L'indignation passe-t-elle avec la jeunesse?

Matèvina, lieu imaginaire où est campée la pièce, est une île que son élite souhaite intégrer à l'économie mondiale en accueillant un sommet économique mondial de type G8 ou G20. Soon, Pia et Yako font partie des opposants. Après l'échec d'une manifestation traditionnelle, ils optent pour une stratégie de type cheval de Troie. Mais leurs convictions tiendront-elles assez longtemps pour mener à terme cette opération de longue haleine?

La source d'inspiration d'Annie Ranger, c'est bien sûr le mouvement de contestation altermondialiste. Les sommets où le pouvoir économique s'attable avec les politiques l'effraient. Le moteur de son écriture a toutefois été son propre rapport à l'engagement, le décalage entre la nécessité que des gens manifestent pour attirer l'attention sur certains enjeux et sa propre absence «pour X, Y ou Z raisons».

«J'ai l'impression qu'on est nombreux à être en colère, chacun chez soi», dit-elle. En 2012, l'engagement est une chose diffuse. On prend part à la discussion sur Facebook, on signe des pétitions en ligne -«On se donne l'impression de faire quelque chose», croit l'auteure-, mais on ne fait pas souvent des gestes concrets. «Je trouve qu'on est un peu endormis au Québec. Et là, c'est en train de changer», constate-t-elle.

L'effet du temps sur Matèvina effleure quantité d'enjeux. Les plus troublants sont que l'indignation est peut-être une chose passagère, que les manifestations n'ont pas toujours de grand impact et qu'une tendance répressive se dessine dans des pays pourtant démocratiques.

«J'ai comme une frustration que les manifestations n'aient pas plus de résonance, admet Annie Ranger. Ou que, comme à Toronto, on arrête des jeunes le matin dans un gymnase, alors qu'ils n'ont encore rien fait. Où est le droit à la parole? On dirait qu'on est en train de l'étouffer.»

En toile de fond, on perçoit même le spectre d'un régime totalitaire. «Je n'ai pas voulu appuyer sur ça, mais j'ai l'impression que j'aurais pu, constate-t-elle aujourd'hui. J'avais écrit que 300 manifestants avaient été arrêtés. Quand il y en a eu 1000 à Toronto, j'ai changé mon chiffre. J'essayais d'écrire une fiction qui était pire que la réalité, mais la réalité m'a rattrapée.»

Histoire de coller encore plus à l'actualité, des événements ont été greffés aux représentations de L'effet du temps sur Matèvina. Une projection du film République, un abécédaire populaire, à 19h, sera suivie d'une discussion avec Dominic Champagne en vue du Jour de la Terre. Le 18 avril, la représentation sera suivie d'une discussion avec Elsie Lefebvre (conseillère au district Villeray), Nima Machouf (épidémiologiste et militante) et Ramon Ponce (organisateur communautaire dans Villeray).

L'effet du temps sur Matèvina sera présenté du 10 au 28 avril 2012 au Théâtre aux Écuries