Hemingway n'est plus que l'ombre de lui-même en 1950, tel qu'on le retrouve dans la nouvelle production de chez Duceppe. Sa consommation de rhum est à la hauteur de sa légende, mais il n'a pas le coeur à la fête. L'aventurier est physiquement diminué. L'écrivain, blessé par les critiques négatives de son dernier roman, a du mal à regarder une page blanche en face.

Il fanfaronne un peu, mais personne n'est dupe: il n'a pas digéré l'attribution du prix Nobel à son rival William Faulkner. En 1950, dans sa maison de La Havane, Hemingway (Michel Dumont) n'impressionne plus personne. Débarque alors la jeune Adriana (Bénédicte Décary). Avec elle revient l'amour et, peut-être, l'inspiration.

Un seul visage d'Hemingway

La vie d'Ernest Hemingway est un roman. Avec Dans l'ombre d'Hemingway, le dramaturge Stéphane Brulotte met néanmoins de côté le jeune ambulancier engagé sur le front italien, le correspondant de guerre et l'aventurier qui survit à des écrasements d'avion en Afrique pour proposer un portrait à hauteur d'homme. Du mythique écrivain ne reste que l'être tourmenté, hanté par la mort et rendu vulnérable par un amour sans doute impossible.

Il y a en effet une grande fragilité dans le Hemingway que compose Michel Dumont. Tantôt bourru, tantôt abattu, tantôt faussement sûr de lui, le comédien navigue entre les humeurs changeantes et souvent fuyantes de son personnage avec beaucoup d'agilité. Avec Marie Michaud (excellente dans la peau de Mary, quatrième femme de l'écrivain), il forme un couple désenchanté très convaincant qui offre certains des meilleurs moments de la pièce.

Les acteurs s'appuient il est vrai sur un texte bien écrit et généralement bien dosé où se côtoient légèreté, ironie et émotion brute. Marc Legault est d'ailleurs très drôle dans la peau d'un homme à tout faire cubain souvent tiraillé entre sa loyauté envers Hemingway et envers Mary. L'idylle entre l'écrivain et la jeune Adriana (dont l'accent est franchement artificiel) s'avère toutefois moins crédible. Trop romantique, cette romance de la dernière chance. Trop naïve pour un quinquagénaire qui a déjà vécu trois divorces.

Puisque le reste est solidement attaché, cette dérive ne suffit pas à faire dérailler le spectacle, que Stéphane Brulotte a eu la bonne idée de placer sur un plateau réduit. L'auteur et metteur en scène fait par ailleurs un usage évocateur de la vidéo et manipule son décor à bon escient. Duceppe tient là un portrait dramatique bien ficelé.

Dans l'ombre d'Hemingway, jusqu'au 3 décembre chez Duceppe.