On sort de cette réinterprétation des contes de Blanche-Neige et La Belle au bois dormant sonné et confus. C'est comme si l'Autrichienne Elfriede Jelinek, auteure de Jackie présentée l'an dernier, nous avait refilé la pomme empoisonnée destinée à Blanche-Neige, pour nous plonger dans une lente agonie.

L'agonie d'un monde où le père Noël n'existe pas. Pas plus que les princesses. Exit les fins heureuses imaginées par les frères Grimm, auteurs (parmi d'autres) de ces deux contes où la femme n'est qu'objet et coquille vide. Les femmes demeurent prisonnières de leur image. Jelinek dépeint ses héroïnes comme des femmes-sexes passives, où beauté et vérité sont souvent opposées. Où le mal et la laideur finissent par avoir le dernier mot.

De toute cette matière dense où les personnages se répondent par de longs monologues, Martin Faucher a réussi, malgré toute l'étrangeté de l'oeuvre tirée des Drames de princesses, à créer des moments forts. Avec bien sûr son personnage de Blanche-Neige, larguée dans la forêt par sa belle-mère, dans un duel avec le chasseur de la forêt, qui ne sera pas aussi clément que dans le récit d'origine.

Sophie Cadieux propose une interprétation audacieuse de ce personnage aux allures de poupée de chiffon. Sébastien Dodge interprète quant à lui un chasseur redoutable et psychotique à souhait. Notre homme ne sera pas du tout touché par la beauté et la naïveté de sa proie. Apparaissent ensuite deux nains (Sébastien Dodge et Éric Bruneau), dans une scène à la fois drôle et hautement subversive, qui profitent de la belle inanimée.

Après avoir été déposée dans un grand comptoir réfrigéré, Blanche-Neige reprendra vie à la suite du fameux baiser prescrit par le conte. Sauf qu'en ce faisant, elle se transformera en Belle au bois dormant. La fusion des deux contes se fait ainsi en relative douceur, malgré l'opacité constante du texte, qui mériterait d'être lu et relu pour en saisir toutes les subtilités.

C'est Éric Bruneau qui joue le rôle du bellâtre, qui redonne vie à la princesse un siècle plus tard, se présentant avec arrogance comme son Créateur. Les trois comédiens, au fond, donnent toute la couleur qu'il est possible de donner à ces personnages burlesques. Et puis, petit à petit, les membres du trio se vident de leur humanité. Se transformant en bêtes aux sexes démesurés. La finale, orgiaque, (avec en prime l'apparition d'un immense cochon gonflable) a tôt fait de nous faire perdre toutes nos illusions. «On vit dans un monde de chiens sales» comme aime le répéter un collègue. On en est là.

À la fin, la plume au vitriol d'Elfriede Jelinek ne parvient pas toujours à se rendre jusqu'à nous, en dépit de certains effets tout à fait réussis. Et un décor de bande dessinée avec ce parterre de céramique rose bonbon. Le texte touffu, aux multiples interprétations possibles, exige une écoute de tous les instants, qui ne manque pas de nous semer, et par moments, de nous assommer.

À Espace GO jusqu'au 8 octobre.