Démolie il y a tout juste un an, itinérante pendant près de 18 mois, La Licorne est fin prête pour sa réouverture au mois d'octobre. La Presse a fait le tour du propriétaire en compagnie du directeur artistique Denis Bernard et du directeur fondateur Jean-Denis Leduc, deux passionnés pour qui l'architecture même d'un théâtre est porteuse d'une vision de la dramaturgie.

Il y a 84 portes dans la «nouvelle» Licorne, précise Denis Bernard, avec ce zèle enthousiaste caractéristique des gens qui viennent de faire rénover leur maison. Passant du vaste hall d'entrée à la nouvelle Petite Licorne, une salle aux dimensions semblables à l'ancienne «grande» Licorne, il décortique le «projet architectural», explique la nécessité de tous ces couloirs qui servent de tampons acoustiques entre les différents espaces privés et publics, s'extasie devant le monte-charge ou un entrepôt plein de matériel d'éclairage neuf. «Pour nous, c'est Noël!», lance-t-il, heureux et incrédule.

Sa fébrilité est compréhensible. L'édifice qui abritait La Licorne depuis la fin des années 80 a été rasé l'été dernier et reconstruit à neuf depuis les fondations. Un ambitieux projet de 6,5 millions, mené à terme «dans les délais et dans les coûts», affirme Denis Bernard. Il assure que son théâtre ne subira le même sort que le Quat' Sous et le Théâtre Denise-Pelletier, qui ont eu des litiges judiciaires avec leur entrepreneur respectif pour des questions de dépassements de budget et de paiements.

La «nouvelle» Licorne a doublé de superficie grâce à l'absorption du lot autrefois occupé le bar La place d'à côté et elle dispose désormais d'un foyer accueillant où se trouvent la billetterie et un bar digne de ce nom: comptoir, longue banquette, tables et chaises. «Ce qu'on veut, c'est mélanger les publics», explique Jean-Denis Leduc qui, après une année sabbatique, est de retour à titre de directeur fondateur. Denis Bernard, directeur artistique à part entière, ne cache pas non plus son envie de voir cet espace devenir un lieu où spectateurs et résidents du quartier aimeront s'attabler pour prendre un verre.

Surtout, le théâtre possède désormais deux salles bien équipées, modulables, indépendantes l'une de l'autre, qui peuvent être exploitées en même temps. La Petite Licorne peut accueillir entre 90 et 110 spectateurs dans des conditions qui rappellent celles de l'ancienne «grande» Licorne. Quant à la salle principale, elle dispose d'une jauge de 175 à 200 spectateurs. Ses dimensions ont été soigneusement étudiées afin de ne pas perdre ce qui faisait la personnalité de ce théâtre: son caractère intime.

Denis Bernard assure que la préservation de cette intimité dans les deux salles a toujours été «au coeur du projet architectural» et que c'était la seule façon de protéger l'intégrité artistique de ce théâtre de création. «Le lieu influence beaucoup le théâtre qu'on fait, renchérit Jean-Denis Leduc. Ici, c'est du théâtre d'acteurs et d'auteurs. C'est ce que le lieu nous impose.» La contrainte est choisie et parfaitement assumée, il va sans dire. Denis Bernard trouve en outre que le ciment du plancher, le chêne sur certains murs, le métal ainsi que des éléments de structures apparents vont bien avec le Théâtre de la Manufacture (compagnie qui assume la direction artistique de La Licorne). «Il y a un côté rough qui rejoint un peu la dramaturgie qu'on exploite ici», juge-t-il.

Des gestes concrets

Avec ce nouvel édifice, qui compte aussi une salle de répétition baignée de lumière donnant sur l'avenue Papineau, les deux hommes de théâtre souhaitent poursuivre la mission que La Manufacture s'est toujours donnée, c'est-à-dire le développement d'une dramaturgie ancrée dans le présent, proche du l'acteur et du spectateur. Cette volonté se traduit par un geste concret: au lieu de n'avoir qu'un seul auteur en résidence, la compagnie en aura six cette année: François Archambault, Catherine Léger, Jean-Philippe Lehoux, Jean-Marc Dalpé, Fabien Cloutier et Fanny Britt.

«C'est comme ça, je pense, qu'on peut vraiment développer la dramaturgie québécoise», croit Jean-Denis Leduc. Comme ça, aussi, que La Licorne peut développer et raffermir son identité, cette manière directe de parler du monde qui nous entoure. «Les auteurs qui écrivent pour nous n'écrivent pas nécessairement comme ils le feraient pour un autre théâtre», ajoute son fondateur.

Jean-Denis Leduc se réjouit d'avoir trouvé en Denis Bernard un successeur animé des mêmes motivations: ancrer La Licorne dans son quartier, l'ouvrir au voisinage, accompagner des textes en cours d'écriture et tisser des liens avec des institutions avec qui La Manufacture a des affinités elles se trouvent en Écosse, en Irlande et en Angleterre, dans ce cas-ci. «C'est la responsabilité d'un directeur que de s'assurer de la pérennité de sa compagnie, dit-il. Ici, je pense que c'est un passage qui va bien se faire.»