Se pourrait-il que les Québécois et les autochtones d'ici vivent une crise identitaire similaire? Le dramaturge et comédien Dave Jenniss le suggère dans Wulustek, pièce directe et ironique présentée en reprise chez Prospero par la compagnie Ondinnok.

Le passé n'est pas garant de l'avenir. Il demeure toutefois un important point d'ancrage lorsqu'on cherche à comprendre le présent et à envisager le futur. Qu'arrive-t-il lorsqu'on se sent brutalement coupé de nos racines? Notre boussole identitaire perd le nord, suggère Wulustek, première pièce du comédien autochtone Dave Jenniss, créée en 2008 et reprise à compter de mardi chez Prospero.

Wulustek s'intéresse à une famille comme les autres, c'est-à-dire pleine de tensions et de silences. Sa particularité est d'être issue d'une nation autochtone fictive, les Malameks, qui a été dépouillée de ses terres ancestrales et qui, chaque automne, se rassemble à l'orée du territoire qu'elle revendique. «Se réunir à cet endroit stratégique, c'est une façon de se dire qu'ils sont encore vivants», explique Dave Jenniss.

Vivants? Survivants? Moribonds? Le lien qu'entretient chaque membre de la famille Miktouch avec son identité amérindienne, sa communauté et les symboles du passé est rarement harmonieux. Déchirés entre une tradition à laquelle certains ne s'identifient plus et un fort sentiment d'injustice, ils cherchent leur présent dans le passé sans vraiment être convaincus que c'est une voie d'avenir.

Enracinée et déracinée à la fois, cette nation à l'identité chancelante est atteinte dans sa langue et dans ses rites faits d'emprunts et d'adaptations. «On en voit un peu des autochtones new age qui s'inventent des cérémonies», révèle d'ailleurs Dave Jenniss tout en soulignant que, dans sa pièce, tous se raccrochent à la mère qui, pourtant, est une Blanche. «Elle est presque plus indienne que le reste de la famille, remarque le dramaturge. Elle a cette foi que les autres n'ont plus.»

Un miroir tendu

Dave Jenniss dit avoir été poussé à écrire Wulustek par le sentiment de frustration qu'il ressentait envers sa communauté, qu'il trouvait «un peu molle». Le miroir qu'il tend aux autochtones n'est d'ailleurs pas joli: il évoque les ravages de l'alcool et la corruption, questionne aussi la sincérité de certaines revendications. Il le fait de plus à l'aide d'une écriture franche, mais pas dépouillée d'humour. «Peut-être que c'est provocateur, mais je n'ai pas écrit ça dans le but de provoquer. Il faut arrêter de se cacher, il faut montrer que ces choses-là existent et aussi qu'on a le droit de rire un peu de nous-mêmes.

«Ça pourrait aussi être une gang de Québécois qui parlent du Québec», fait-il valoir, par ailleurs. Ce déchirement entre la nécessité de résister pour la préservation de son identité et l'envie de respirer l'air du temps ressemble beaucoup à celui que vit toujours le Québec. Il y a aussi des similitudes entre les deux peuples dans l'attachement proclamé aux grands espaces naturels. Ce qui ne signifie pas qu'on s'émeuve collectivement du saccage des forêts et des rivières. Sauf quand c'est dans notre cour.

Dave Jenniss, dont le texte a bénéficié de la collaboration de l'équipe d'acteurs réunis par Ondinnok, travaille à sa manière au rapprochement des autochtones et des Québécois. Il voit d'ailleurs d'un bon oeil la présentation d'une pièce de Shakespeare par Ex-Machina à Wendake, près de Québec, l'été prochain. «Je pense que le rapprochement passe par l'art», dit-il.

Wulustek, au Théâtre Prospero, du 29 mars au 16 avril.