Félicité, créée à La Licorne il y a deux ans, a droit à un deuxième tour de piste à l'Espace Go dans la mise en scène de Sylvain Bélanger. Le dramaturge Olivier Choinière revient sur cette histoire de vengeance à l'heure de la société du spectacle grâce à laquelle il a été invité au Royal Court de Londres.

Alors que de nombreux artistes prétendent créer en faisant abstraction du public, l'auteur, traducteur et metteur en scène Olivier Choinière (Autodafé, Venise-en-Québec, etc.) pense continuellement à l'assistance lorsqu'il écrit un spectacle. ARGGL, sa compagnie, ne cherche pas pour autant à flatter le spectateur dans le sens du poil, mais à le bousculer dans son rôle et à en faire un véritable acteur de la création à laquelle il assiste.

 

«La question essentielle que le théâtre doit se poser aujourd'hui c'est: comment fait-on du spectacle dans cette société de spectacle, dans cette vie où tout est théâtre, tout est mise en scène et tout est mythe? Comment fait-on du spectacle sans reproduire les mêmes schèmes?» se demande-t-il.

Félicité met précisément en scène des gens «qui ne vivent pas leur vie». D'un côté, il y a des employés d'un Wal-Mart fascinés par Céline Dion. De l'autre, une jeune femme alitée, qui a littéralement servi d'esclave sexuelle aux mâles de sa famille et qui se réfugie dans son imagination obnubilée par le royaume merveilleux de Céline.

«J'avais deux matières médiatiques dont on se repaît chaque jour: la vie merveilleuse de stars et la vie horrible de gens qui font la une du Journal de Montréal et d'autres journaux», raconte-t-il. Entre les deux, il a imaginé une caissière méprisée par ses collègues, qui va exploiter leur fascination pour la superstar pour les plonger dans l'horreur. «Pour moi, Félicité, c'est l'histoire d'une vengeance», dit encore le dramaturge.

Olivier Choinière raconte des choses horribles dans ce texte, mais ne les donne pas à voir dans le spectacle. «La pièce, elle est dans la tête des spectateurs. Le but, c'est de réactiver l'imagination par la narration», expose-t-il. Le dramaturge juge qu'avec tous les films, toutes les séries télé et toutes les publicités qu'on a vus, chacun d'entre nous possède une banque d'image suffisante pour créer le spectacle. «Le rôle de l'auteur dramatique, selon moi, c'est de réveiller ces images-là, pas d'en imposer d'autres.»

Trajectoire internationale

Ce rapport direct qu'il cherche à établir avec le public a été concrètement mis en valeur dans la production britannique de Félicité, présentée en mars 2008 au Royal Court de Londres sous le titre Bliss. Le metteur en scène Joel Hill-Gibbins a eu l'idée simple, mais audacieuse, de faire porter à chacun des spectateurs le même uniforme bleu que les comédiens. L'effet miroir recherché par l'auteur s'en trouvait ainsi clairement établi.

Olivier Choinière a beaucoup apprécié son expérience londonienne. Deux semaines durant, il a non seulement assisté au processus de création, mais a eu le sentiment d'en être partie prenante. «Les Anglais sont très proches, très respectueux du texte. J'ai été interrogé sur des questions de jeu à la virgule près, assure-t-il. Rien n'est laissé au hasard.»

Londres semble n'être que le point de départ de la carrière internationale de Félicité. Sa version anglaise, traduite par Caryl Churchill, a par la suite été montée au Tron Theater de Glasgow en Écosse (avril et mai 2009) et, l'automne dernier, au Downstairs Theater de Sydney, en Australie. Ce n'est pas tout, Glückseligkeit, sa traduction allemande, vient tout juste de tenir l'affiche au Theater Neumarkt de Zurich, en Suisse, et une version espagnole est actuellement en préparation.

Après s'être consacré à plusieurs projets déambulatoires et avoir tourné un «long» court métrage (une expérience qu'il évoque avec une lumière vive dans l'oeil), Olivier Choinière est redevenu auteur dramatique à temps plein. Il travaille depuis septembre à un texte commencé alors qu'ilétait en résidence d'écriture au Royal Court de Londres et qu'il a volontairement laissé reposer pendant tout ce temps.

De cette pièce en chantier, il ne dira que peu de choses, sinon qu'elle «exploite un peu le même rapport avec le public que Félicité». Un atelier de lecture avec des acteurs a été réalisé, mais Olivier Choinière ne sait pas qui pourrait la monter, ni quand ni où. Et il ne veut pas le savoir. «Je n'avais pas envie d'écrire en sachant qu'il y a une première, dit-il. Je veux que ça m'appartienne pleinement avant de la passer à quelqu'un d'autre.»

Félicité, du 20 avril au 2 juin à l'Espace Go.