C'est un moment rare et intense: Wajdi Mouawad, sur scène, donnant la réplique à une Emmanuelle Béart tout en intériorité dans Les Justes d'Albert Camus, à l'affiche depuis vendredi à Paris.

Mouawad, qui a marqué la dernière édition du Festival d'Avignon dont il était l'artiste associé, est auteur, metteur en scène et comédien, mais il ne joue jamais dans les pièces des autres. Il a accepté de le faire pour Stanilas Nordey, figure du théâtre public français, qui offre une relecture exigeante et radicale du célèbre texte de Camus, mort il y a 50 ans.

La présence de Mouawad sur la scène du Théâtre national de la Colline n'est pas du au hasard: c'est en travaillant sur la mise en scène d'Incendies en 2008, que Nordey avait été conduit à lire Les Justes. Nordey, de son côté, joue en ce moment à Paris, aux Ateliers Berthier (Théâtre de l'Odéon), dans Ciels, écrit et mis en scène par Mouawad. Pièce sur le terrorisme contemporain, Ciels embrasse le même thème que Les Justes, leur faisant en quelque sorte écho à 60 ans de distance.

Dans Les Justes, créés en 1949 (avec Serge Reggiani, Michel Bouquet et Maria Casarès), un groupe de cinq révolutionnaires russes concoctent un attentat contre le grand-duc Serge, oncle du Tsar. Pendant deux heures et demi d'un huis-clos torturé, ils débattent de la légitimité du geste qu'ils s'apprêtent à poser (et qu'ils poseront finalement dans un grand bruit d'explosion qui fait sursauter la salle). La terreur et l'assassinat à des fins politiques peuvent-il être légitimés? La mort d'enfants est-il justifiable? Ce qui est justifiable est-il juste?

Tout en retenue, vibrante, Emmanuelle Béart est Dora, la seule femme du groupe. Wajdi Mouawad joue Stepan Fedorov, le pur et dur que le doute n'épargne pas, mais qui ne renonce pas pour autant.

La famille de Wajdi Mouawad a fui le Liban en guerre et toute son oeuvre est marquée par la violence et l'exil. Il est d'autant plus troublant de le voir plaider pour une révolution où la fin justifie les moyens.

«Il est très bouleversant de découvrir Wajdi Mouawad dans l'élan, la profondeur du jeu, la présence magnétique de Stepan Fedorov», a écrit à ce propos Armelle Héliot, la critique du Figaro, qui ajoute: «Il est un remarquable comédien, sensible, personnel, il suit le parcours fascinant de Stepan avec une rigueur magnifique et un engagement de toutes ses fibres. C'est superbe».

Les Justes seront présentés au Centre national des Arts d'Ottawa en novembre prochain.