À sa sortie de l'École nationale de théâtre en 1980, René Richard Cyr croyait qu'il serait comédien. Mais sans autre rôle à se mettre sous la dent que celui d'un valet dans une pièce de Labiche, il s'est tourné par dépit vers la mise en scène. Trente ans et 80 mises en scène plus tard, il y est toujours, le dépit en moins et l'espoir en plus, comme dans L'homme de la Mancha qu'il reprend à Joliette. Portrait d'un incurable romantique.

Assis à la table du fond de L'Express tôt un matin de juin, René Richard Cyr me dit que ça ne dérange pas si je l'écris. «Vraiment, insiste-t-il, tu peux l'écrire. Je suis prêt à tout pour que ce show-là marche.»

 

De quoi parle René Richard Cyr? Du fait qu'il a pris le téléphone, a composé mon numéro et m'a demandé gentiment de lui peindre le portrait dans le journal. Chose que font rarement les metteurs en scène en général et René Richard Cyr en particulier.

Pourquoi ce précédent de la part de l'homme le plus occupé en ville et qui, cette année seulement, a signé trois mises en scène au théâtre et une à l'opéra? Certainement pas pour sa carrière, qui n'a plus vraiment besoin d'un autre article ou d'une autre entrevue pour briller de tous ses feux. Non, si René Richard Cyr est en mode de sollicitation, c'est à cause d'un projet qui lui tient vraiment à coeur: le retour de L'homme de la Mancha, une comédie musicale américaine adaptée du roman de Cervantes par le compositeur Mitch Leigh et le parolier Joe Darion.

Créée à New York en 1965 et campée dans une prison pendant l'Inquisition, la comédie musicale emballa à ce point Jacques Brel qu'il entreprit d'en acquérir les droits puis de traduire lui-même les textes. Monté à Bruxelles avec Brel dans le rôle-titre et Dario Moreno dans le rôle de son acolyte, le spectacle fit sensation et ne tarda pas à déménager à Paris, puis à faire le tour de l'Europe. Cependant, le 17 mai 1969, après 150 représentations et la mort de Moreno, Brel, pâle, amaigri et fatigué, abandonna le rôle. Mais pas les droits sur la version française. Encore aujourd'hui, c'est la veuve de Jacques Brel qui les détient. Et c'est elle qui, sur les conseils de Michel Legrand, accepta de les céder pour la production québécoise créée à Joliette en 2002 avec Jean Maheux dans le rôle de Don Quichotte et Sylvain Scott dans celui de Sancho Panza.

Cette année-là, la production mise en scène par René Richard Cyr fit le tour du Québec avant de terminer son parcours à l'Olympia de Montréal. Puis, en 2004, L'homme de la Mancha est revenu à Joliette et devait en principe y mourir de sa belle mort à la fin de l'été. Mais comme le dit si bien René Richard Cyr dans son langage coloré: «C'est comme si on n'avait pas complètement tordu la débarbouillette.»

En d'autres mots, Cyr estime que la comédie musicale n'a pas fait le plein de son public au Québec et qu'elle pourrait encore conquérir les coeurs d'au moins 20 000 spectateurs supplémentaires. Pour l'instant, 4000 billets ont été vendus. Le chiffre est plus qu'honorable. Mais il reste tout de même quelque 16 000 billets à vendre. Or, comme les interprètes principaux ne sont pas des figures connues du public, René Richard Cyr a décidé de se sacrifier pour la cause et d'assurer le service avant et après vente.

«Je suis vraiment prêt à tout pour que le monde vienne et revienne voir ce show-là au Centre culturel de Joliette, plaide-t-il. Et surtout, n'allez pas croire que je fais ça pour l'argent. Que ce show-là marche ou non, je ne ferai pas une cenne de plus. Mon engagement vient du fait que j'ai vu la réaction du monde après les représentations et chaque fois, c'est la même chose: les gens sortent heureux, le regard allumé. Certains applaudissent à n'en plus finir en criant merci. Et puis, je n'ai jamais monté un show qui faisait autant brailler les gars. C'est pour ça que même si je n'offre pas le remboursement, je me porte garant de la soirée.»

Un romantique fini

René Richard Cyr espère aussi profiter du pouvoir d'attraction de Don Quichotte, de ses moulins à vent et de son inaccessible étoile, pour ramener la tradition de la comédie musicale au Centre culturel de Joliette. Son désir n'est pas entièrement désintéressé puisque l'été prochain, il reviendra à Joliette avec la version musicale des Belles-soeurs. La musique, composée par Daniel Bélanger, est déjà écrite et les comédiennes, choisies. Plus le public sera nombreux pour L'homme de la Mancha, plus il risque de revenir en grand nombre l'année prochaine. C'est du moins le pari qu'a fait René Richard Cyr. En même temps, ce calcul marketing n'enlève rien à l'attachement réel qu'il éprouve pour L'homme de la Mancha.

«Sur les 80 mises en scène que j'ai signées, si j'en avais trois à choisir, c'est clair que L'homme de la Mancha serait un de mes choix. Ce n'est pas nécessairement le meilleur travail que j'ai accompli, mais c'est celui qui a eu le plus d'impact sur le public. C'est rare, des shows qui donnent l'espoir d'un monde meilleur. Surtout qu'on a l'impression qu'aujourd'hui, l'espoir est devenu quétaine. Si tu veux chanter «tout va changer demain», faut que ça soit GrimSkunk qui le chante sinon ça paraît ridicule et risible. Moi, ce que j'aime avec L'homme de la Mancha, c'est que c'est une oeuvre qui nous élève. Mais sans naïveté et sans non plus tomber dans l'overdose sucrée.»

René Richard Cyr serait-il un grand romantique, lui qui, dans la plupart de ses rôles, nage en pleine dérision? Il confirme qu'il est un romantique fini qui braille même pendant les pubs à la télé. Il ajoute cependant que ses goûts personnels et sa culture le portent plus vers Charles Aznavour que Brel, Barbara ou Ferré.

«J'adore le pouvoir irrationnel de la musique sans doute parce que j'analyse tout le temps. Non seulement j'analyse, mais je classe, je chiffre. J'ai la tête pleine de statistiques inutiles comme le nombre d'années que je suis sur terre, les numéros de téléphone de tous les acteurs que j'ai engagés. J'ai un côté compulsif, à la limite de l'autisme.»

Compulsif, mais hyper performant. Au cours des 10 derniers mois, Cyr a signé quatre mises en scène, dont Bob, une pièce de quatre heures de René-Daniel Dubois et Macbeth pour l'Opéra de Montréal. Or, même si son Macbeth a récolté quelques critiques assassines (notamment dans La Presse), sa mise en scène a captivé les Australiens et sera produite en 2011 aux opéras de Melbourne et de Sydney. C'est une première pour l'Opéra de Montréal, qui n'avait jamais exporté un de ses spectacles. René Richard Cyr n'en est pas peu fier. L'opéra est arrivé il y a cinq ans dans sa vie, comme la dernière corde d'un arc tenu par un homme qui, malgré ses origines modestes et sa naissance à l'angle des rues Frontenac et Ontario, a parcouru énormément de chemin et abattu un travail colossal. Depuis ses premières mises en scène pour le performer Michel Lemieux, puis pour Joe Bocan, Céline Dion et Diane Dufresne, on dirait que René Richard Cyr n'a jamais cessé, même pendant cinq minutes, de créer, de concevoir, de jouer, de mettre en scène.

Mais contrairement à Don Quichotte, René Richard Cyr ne s'est jamais battu contre des moulins à vent. Et si d'aventure la bataille avait eu lieu, soyez assuré que René Richard Cyr l'aurait gagnée.

L'homme de la Mancha, au Centre culturel de Joliette du 2 juillet au 29 août. Info: 450 759-6202 ou www.spectaclesjoliette.com