Le fantôme Jacob pourra bientôt rentrer chez lui. La semaine prochaine, le Quat'Sous rouvre ses portes, après plusieurs mois de reconstruction. Le maître des lieux, Éric Jean, a accueilli La Presse cette semaine pour une visite des nouveaux murs du théâtre inauguré en 1965 par la troupe de Paul Buissonneau, après 10 ans d'errance. L'ancienne synagogue n'est plus. Mais l'âme du Quat'Sous, elle, demeure.

«Ils devraient le rebaptiser Théâtre de Quat'Dollars», ironise le chauffeur de taxi qui me dépose devant le Quat'Sous, où des ouvriers mettent les bouchées doubles afin d'achever le bâtiment à temps pour la première de Dans les charbons.

 

«Ou encore le Théâtre de Quat'Millions», rétorque Éric Jean, qui m'accueille dans le hall du Quat'Sous tout neuf, où s'affairent des hommes coiffés de casques de construction. Première impression: c'est comme si rien n'avait changé, comme si l'esprit de l'ancien théâtre avait survécu à la démolition des vieux murs. Et pourtant, le lieu a été repensé, renouvelé, pour que le Quat'Sous soit enfin en phase avec son temps.

«Quelques personnes qui connaissaient bien l'ancien bâtiment, comme Andrée Lachapelle et Adèle Reinhardt, sont venues visiter le nouveau théâtre. Elles ont dit que, déjà, il y avait une âme ici», confie le directeur artistique du Quat'Sous. Après trois années consacrées à mener à bien la transformation complète du théâtre de l'avenue des Pins, Éric Jean affiche une sérénité bien méritée.

Il m'assure que tout sera prêt à temps, même s'il reste encore à installer les séparateurs dans les toilettes, à compléter la façade et à ajuster quelques détails ici et là. Il me fait visiter les nouvelles loges, beaucoup plus fonctionnelles et spacieuses que celles d'autrefois, me fait apprécier les immenses panneaux de verre qui ouvrent les lieux sur la rue, ou encore la superbe terrasse.

Pour l'entrevue, nous nous installons dans la nouvelle salle de répétition, où la silhouette de Paul Buissonneau juché sur un escabeau est dessinée sur une des grandes fenêtres. «Je voulais que les gens se sentent ici comme dans une maison. Je tenais à ce qu'il y ait beaucoup de verre, pour donner aux gens envie d'entrer ici, que l'énergie circule entre l'intérieur et l'extérieur», indique Éric Jean, qui voulait débarrasser le Quat'Sous de son ancienne image de «petite maison hantée.»

Renaître

Un foyer à l'éthanol pour réchauffer l'ambiance du hall d'entrée. Une billetterie encore logée à l'entrée, mais du côté opposé, le bar qui va reprendre sa place, tout comme les bureaux administratifs. Des objets d'origine, qui ont survécu à la transformation, comme les tables d'Yvon Deschamps ou un grand miroir qu'avait déniché Paul Buissonneau. Du neuf inspiré de l'ancien, comme les sièges de la salle de spectacle, un nouveau mur de pierres et un plancher copié sur celui d'avant. Et des touches de rouge ici et là, qui rappellent l'ancienne synagogue.

Le défi qui a été donné à l'architecte Éric Gauthier (qui a aussi réalisé l'Espace Go, le Monument-National, la maison de la culture d'Hochelaga-Maisonneuve) était de conserver l'âme de l'ancien théâtre, tout en projetant le Quat'Sous dans le futur. Éric Jean tenait à ce que les nouveaux lieux soient invitants et pensés pour les artistes de demain. «Je ne tenais pas à être audacieux à tout prix, je ne voulais pas d'un objet extraterrestre sur l'avenue des Pins», avance-t-il, tout en précisant que l'audace du nouveau théâtre se trouve dans certains détails, comme les motifs de paisley perforés dans le revêtement d'aluminium, clins d'oeil aux années 60.

L'avenir du Quat'Sous, Éric Jean le voit hybride, multidisciplinaire. La saison 2010-2011, promet-il, sera faite de projets qui mélangent les formes d'art. Au nouveau Quat'Sous, il y aura aussi de la place pour la danse, la musique, la performance...

Opium 37, présenté en novembre dernier à l'Espace Go, devait être le spectacle d'ouverture du Quat'Sous. Finalement, en raison de délais, c'est à Loui Mauffette que reviendra l'honneur de baptiser les lieux, avec sa nouvelle «stonerie» poétique, Dans les charbons.

«J'ai été ébloui par son premier spectacle, Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent. Il y avait quelque chose là-dedans qui me faisait penser à l'Osstidcho.» Aux yeux d'Éric Jean, ouvrir le nouveau Quat'Sous avec une rencontre poétique faite de textes d'Aimé Césaire, de Leonard Cohen et de Patrice Desbiens, «ce n'est pas du safe, du tout calculé».

«Je ne cherche pas l'oeuvre parfaite, cela ne m'intéresse pas», lâche Éric Jean, qui a hâte de revenir à son travail de metteur en scène, après ces dernières années consacrées à reconstruire le Quat'Sous, à gérer les budgets, les pépins, les innombrables détails d'une telle entreprise. «Au début, je n'avais aucune idée dans quoi je m'embarquais. J'ai vécu les dernières années au quotidien.»

L'accouchement a été plus long que prévu, mais le nouveau Quat'Sous brille enfin. Éric Jean peut retourner à son premier métier de metteur en scène. Les fantômes seront bien gardés.