Doué pour se mettre les pieds dans les plats, le personnage éponyme des Malheurs de Sophie est le plus coloré des jeunes héros issus de l'imaginaire de la Comtesse de Ségur. À l'invitation des Coups de théâtre, le Français Christian Duchange offre aux jeunes spectateurs québécois son adaptation d'Un malheur de Sophie. En transposant sur la scène l'histoire des petits poissons, il raconte la solitude de l'enfant happé par le goût du risque.

«Depuis deux saisons, je cherche à inventer de petits objets de théâtre, des miniatures qui sont légères, transportables et peuvent être joués à l'extérieur des théâtres», indique Christian Duchange.

 

«Toucher des populations qui ne se rendent pas facilement au théâtre.» Voilà une idée récurrente dans le discours de Christian Duchange et de sa compagnie L'Artifice, récompensés en 2005 du tout premier Molière Jeune public pour Lettre d'amour de 0 à 10. «La question du jeune public commence à prendre de la puissance chez nous. Mais c'est tout un travail», reconnaît celui qui promène ses spectacles, réalisés avec un minimum de moyens techniques, dans les salles de classe ou dans les bibliothèques.

Un malheur de Sophie est un spécimen parmi plusieurs de ces petits écrins d'une trentaine de minutes. Admiratif de l'écriture de la célèbre Comtesse de Ségur, Christian Duchange a choisi l'épisode où Sophie subtilise les poissons rouges de sa maman. Elle les découpe en morceaux et les sale ensuite. Pour enfin se rendre compte qu'elle les a tués.

«C'est une histoire très dure que la Comtesse de Ségur utilise pour essayer de moraliser l'éducation des enfants. Elle convoque ici une vraie cruauté, qui crée un sens pour les enfants parce que ce n'est pas mièvre. C'est aussi un très beau témoignage littéraire, qui mérite vraiment d'être actualisé», soutient le metteur en scène.

La noblesse de la Comtesse

Repris au cinéma et en dessins animés, les récits de la Comtesse de Ségur ont très rarement été portés à la scène. «J'ai l'impression que le théâtre nous permet d'aller plus loin dans la réflexion sur les limites, le désir, la cruauté», explique celui qui a choisi une comédienne adulte (Anne Cuisenier) pour jouer la reine des espiègles.

Aucun décor ni costume du XIXe siècle, mais une véritable plongée, par la comédienne, dans la question du désir comme moteur de l'existence.

«Sophie incarne le rendez-vous de l'enfance avec la découverte du monde, qui passe par le risque, l'expérience des limites. Dans l'histoire des poissons, elle subit une punition morale qui est intéressante. Elle finit par avouer sa faute à sa maman. Du coup, celle-ci la félicite et lui dit qu'elle ne la disputera pas parce qu'elle a compris qu'elle avait fait souffrir les poissons.»

Mine de rien, Sophie fait écho au rapport à la liberté qui s'installe à l'enfance et aux apprentissages qui ne sont possibles qu'en enfreignant les règles. «Même si elle n'est pas punie par trois soirées sans télé, elle est travaillée par le remords, la culpabilité et la conscience d'avoir tué.»

Pendant que Sophie fera son malheur à L'Usine C, la Maison Théâtre prête sa scène à Christian Duchange en présentant Lettres d'amour de 0 à 10 ans. Un spectacle vu aux Coups de théâtre en 2005 et qui, résume Duchange, «raconte une rencontre de hasard entre deux enfants que tout oppose. Une belle histoire d'humanité et d'amitié.»

Dans Lettres d'amour, comme chez la Comtesse de Ségur, Christian Duchange touche à l'éternelle question du sens à donner à sa vie. Ce qui nous rappelle qu'on n'est jamais trop jeune pour les grandes quêtes existentielles.

Un malheur de Sophie, les petits poissons, extrait du livre de la Comtesse de Ségur publié en 1858, les 24 et 25 novembre, à 13h, et les 29 et 30 novembre, à 11h, à l'Usine C. Lettres d'amour de 0 à 10, à la Maison Théâtre jusqu'au 30 novembre.