On devine le plaisir qu'a dû ressentir l'auteur James Goldman en écrivant les savants dialogues de ce Lion en hiver, fresque historico-politique qui raconte avec un humour cinglant le ballet familial entourant la succession du roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, en l'an 1183.

Tous les ingrédients des bonnes intrigues de cour y sont : un trône, un empire, une vieille reine rebelle, une jolie maîtresse... et trois fils avides de pouvoir. Il y a dans cette toile tissée de complots et de mensonges quelque chose des Rois maudits...

Sur scène, la pièce de près de trois heures souffre par moments de ses qualités littéraires, car tout est centré sur ces dialogues, savoureux mais exigeants, où se multiplient les plans machiavéliques ourdis par les uns et les autres. Il y a certes quelques passages à vide, mais le tout est habilement lié grâce à la mise en scène de Daniel Roussel.

La vérité est que ce spectacle est porté par deux grands acteurs, Michel Dumont et Monique Miller, qui jouent avec beaucoup de justesse les rôles d'un roi et d'une reine qui aiment se détester. Monique Miller est au sommet de sa forme dans son incarnation d'une reine Aliénor au centre de tous les complots. À la fois doucereuse et cassante, on a peine à la quitter des yeux.

Le château de Chinon (en France), lieu de l'action, est reproduit par une structure de trois étages dans laquelle les acteurs vont et viennent, échafaudant les plans les plus vils pour prendre le pouvoir, penchant tantôt pour la guerre, tantôt pour la paix. Prisonnière de son propre château, Aliénor est libérée pour la fête de Noël, ce qui lui donne l'occasion d'ébranler son roi de mari dans ses projets de succession.

Impossible de raconter toutes les intrigues et tout ce qui lie les personnages entre eux. Disons simplement que le roi Henri II aimerait voir son fils Jean lui succéder, tandis que sa femme Aliénor souhaiterait plutôt le couronnement de Richard «coeur de lion», son préféré. Le troisième garçon, Geoffroy, n'est pas même dans la course tant il indiffère ses parents.

Les trois fils, bien qu'un peu caricaturaux, sont assez bien défendus : Geoffroy le froid conspirateur par Sébastien Delorme, Richard le guerrier par Patrice Godin et Jean le voyou pustuleux et maladroit par Olivier Morin. Lasse de ces guerres et découragée par la «médiocrité» de ses fils, Aliénor dira à son époux, exaspérée : «Je n'aime pas beaucoup nos enfants...»

Evelyne Brochu incarne avec finesse la jolie et naïve Alix, maîtresse en titre du roi, objet de convoitise (et de négociation) des prétendants au trône, tandis que Mathieu Bourguet complète le tableau dans le rôle du jeune roi de France, Philippe II.

Les interprètes principaux de ce costaud Lion en hiver n'ont pas à rougir de la comparaison avec Peter O'Toole et Katharine Hepburn, qui incarnaient Henri II et Aliénor dans le film tiré de la pièce en 1968. Malgré quelques longueurs et un désagréable sentiment de parfois tourner en rond, notre lion rugit comme il faut, et toute sa cour aussi.

_________________________________________________________________________________________

Le lion en hiver de James Goldman, mise en scène de Daniel Roussel, au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 6 décembre.