On peut voir dans le roman La peste, d'Albert Camus, une métaphore de la montée du nazisme. On peut aussi repérer chez le personnage du Dr Rieux le symbole d'une lutte perdue d'avance contre la mort. Le metteur en scène Mario Borges s'est approprié l'adaptation de Francis Huster du roman de Camus et en a fait une pièce pour cinq acteurs. Renaud Paradis campe le bon Dr Rieux sur la scène de la Caserne Létourneux.

Nous sommes dans les années 40. Il y a quelques mois, la peste faisait des morts à profusion dans une petite ville d'Algérie. Le Dr Rieux, qui a perdu sa femme et vu périr des amis et compagnons de lutte, s'est exilé en montagne. Chargé de tout ce qu'il vient de vivre, il raconte l'histoire du roman de Camus.

 

«Il y a des bouts narrés et tout d'un coup, on entre dans l'action, dans le concret. Mario Borges a fait un travail colossal d'adaptation, soutient l'interprète du Dr Rieux. Il a privilégié une approche cinématographique.»

Si, dans le roman de Camus, le territoire décimé par la peste était la ville d'Oran, en Algérie, Mario Borges a choisi de situer l'action dans un lieu neutre. Façon de dire aux spectateurs que l'épidémie pourrait passer près de chez eux. «Cela parle de gens qui côtoient la mort chaque jour, qui perdent des gens de leurs familles et vivent dans la peur et l'impuissance. Ce sont des êtres de chair qui sont pris avec leurs zones d'ombre et grises, leur fatigue.»

Médecine guerrière

En évoquant la croisade du Dr Rieux pour sauver des victimes de la peste qui se reproduisent de façon exponentielle, on songe évidemment aux Réjean Thomas de ce monde, qui ont consacré leur vie à vaincre une épidémie mortelle.

«Comme chez Thomas, le personnage de Rieux est doté d'une espèce de don de soi énorme. On rapporte d'ailleurs que le Dr Thomas citait La peste dans certaines conférences sur le sida. Il s'est battu, il a mis en place des structures pour lutter contre la maladie qui est désormais contrôlée avec la trithérapie. Mais ça continue: il sait que des gens continuent de mourir du sida, qu'il doit toujours se relever les manches et trouver des alliés pour se battre. Ça prend une foi énorme.»

À l'époque de sa parution, en 1947, on a vu dans le roman de Camus une métaphore du nazisme. Mais 60 ans plus tard, son propos peut nous éclairer sur l'émergence des dictatures ou encore la prolifération des fléaux naturels ou causés par l'homme.

«Camus demande ce qu'il advient de la bonté de l'humain lorsqu'il est confronté à l'adversité, à la mort», exprime Renaud Paradis qui, d'un même souffle, évoque «les grands moments de découragement, de fatigue, d'impuissance et de colère» de Rieux, qui a vu les morts s'aligner dans un corridor sans fin.

Le sida, le nazisme, la haine, le racisme, l'homophobie, tout comme la peste, sont de coriaces ennemis à vaincre pour des hommes de bonne volonté. Des fléaux qui parfois s'endorment, mais ne disparaissent jamais complètement. Comme pour nous rappeler que nous nous dirigeons tous vers la mort.

La peste, d'Albert Camus, adaptation et mise en scène de Mario Borges, du 22 octobre au 8 novembre à la Caserne Létourneux.