Le cinéma le fait tout le temps, pour le meilleur et pour le pire: porter à l'écran des écritures romanesques. Presque systématiquement, ceux qui ont lu le livre avant de voir le film sont déçus. Il manque toujours des éléments du récit. Ou encore, les acteurs ne correspondent pas à l'image que l'on se faisait des personnages.

Parfois, très rarement, une adaptation filmique se détache du roman pour s'approprier une identité singulière.

Si adapter pour le cinéma signifie forcément sacrifier des personnages ou renoncer à des monologues intérieurs sans trahir l'oeuvre d'un auteur, transformer un roman pour la scène est aussi un exercice qui exige beaucoup de doigté.

 

On l'a constaté récemment, avec l'adaptation de Xavier Jaillard de La vie devant soi. Nous étions certainement nombreux à être conquis d'avance, encore habités par le souvenir du roman de Romain Gary/Émile Ajar.

J'ai pour ma part été déçue par la version théâtrale de La vie devant soi. La comédienne Catherine Bégin faisait une Madame Rosa très crédible. Quant à Aliocha Schneider, son interprétation de Momo était très correcte. Bien que nous ayons été en droit de nous demander où ce jeune musulman des années 60, adopté à l'âge de 3 ans, avait pris son accent des banlieues d'aujourd'hui...

Plus que les anachronismes, c'est le trop-plein de réalisme qui m'a fait déchanter. De La vie devant soi (que j'ai lu au cégep), je conservais le souvenir d'un univers fait de marginaux et paumés qui, dans les yeux d'un jeune garçon, devenaient de fabuleuses créatures romanesques. Du coup, le fait d'ancrer le récit dans un appartement parisien modeste ou dans des cafés trahissait complètement mon souvenir.

Mais bon. J'imagine que c'est mon problème, puisque la pièce joue en supplémentaires...

Cela dit, une autre adaptation d'un roman célèbre prend cette semaine la scène de la Caserne Létourneux, refuge temporaire de la salle Fred-Barry, qui subit cette année des rénovations. Le metteur en scène Mario Borges a eu l'ambitieuse idée de faire de La peste de Camus une pièce à cinq personnages. Or, pour rendre la chose plus digeste, il a pourvu son spectacle d'une facture cinématographique. On nous racontera ainsi le récit du Dr Rieux par flashbacks, passant de la narration à l'action.

Il sera d'autant plus intéressant de voir comment le public post-adolescent de Fred-Barry percevra la pensée de Camus ainsi portée à la scène. Chose certaine, le propos de Camus demeure toujours pertinent et actuel. En 1940, on parlait des ravages de la peste. À sa sortie en 1947, plusieurs ont vu dans le roman de Camus une métaphore du nazisme. Cinquante ans plus tard, le sida est contrôlé par la trithérapie, mais menace encore et l'intolérance est un mal encore plus difficile à éradiquer.

Vaut-il mieux lire Camus ou le porter à la scène? Telle est la question.