Toxicomanie, bipolarité, psychoses... Dans Face à faces, sa biographie à paraître mercredi, Michel Courtemanche se confie sans détour et règle ses comptes avec son ex-imprésario, par qui il considère avoir été exploité durant des années. Entrevue sans filtre avec l'homme au visage en caoutchouc.

«Je me suis fait exploiter», écrit Michel Courtemanche en ouverture d'un chapitre complet de sa biographie consacré à celui qui aura été son imprésario pendant plus de 20 ans, François Rozon. En entrevue avec La Presse dans une brasserie de Westmount, l'artiste a encore du mal à prononcer le nom de celui qui a tenu entre ses mains sa carrière pendant deux décennies. «C'était l'occasion idéale de remettre les pendules à l'heure, de dire les choses franchement», lance-t-il, avant de poursuivre: «J'ai encore cette rage en dedans de moi. Je suis celui qui est le plus à blâmer dans cette histoire-là. Je me suis laissé emporter par ces gens-là. Je les ai laissés gérer ma vie. C'était impossible que je ne parle pas de M. Rozon, de sa manière de fonctionner avec moi au niveau des cotes.»

Entre 1989 et 1995, Un nouveau comique est né, son premier spectacle, a été vu plus de 500 fois alors que sa deuxième production, Les nouvelles aventures de Courtemanche, a attiré en salle un quart de million de spectateurs. Dans une biographie consacrée à Juste pour rire parue en 2007, Gilbert Rozon estime que l'humoriste est un des trois facteurs qui ont contribué à lancer son empire.

Dans Face à faces, Michel Courtemanche considère d'ailleurs ouvertement avoir été la «vache à lait» de l'entreprise, mais aussi de son imprésario François, le frère de Gilbert Rozon, qui a perçu pendant 20 ans 50 % de tous ses revenus.

«Autant avec la vente des vidéocassettes de mes spectacles que les cotes qu'il prenait sur tout: mes salaires de comédien, de porte-parole d'un produit, toute, toute, toute. Sa théorie était que tout ce qui découle de la scène devait être imposé à 50 %. Tout ce qui vient du vagin de ma mère devrait être imposé à 50 % alors! C'est une vieille manière de faire...»

En 1998, l'artiste finance l'ouverture du bureau d'Encore, la boîte de production de François Rozon après son divorce avec Juste pour rire. Il devient alors actionnaire à 50 % de l'entreprise, mais s'aperçoit en 2007 qu'il ne touche que 50 % de ses cachets de réalisateur de la série Caméra café sur laquelle il a travaillé pendant sept saisons.

«J'avais confiance à 100 %. Avec le temps, je suis devenu peut-être un peu plus intelligent et j'ai dit que ça n'avait pas de sens», confie Courtemanche.

Incapables de trouver un terrain d'entente, les deux hommes mettent fin à leur association. Courtemanche partira avec 250 000 $ en poche. Il estime ne pas avoir été exploité que financièrement.



«Je n'avais plus envie de monter sur scène. Il y a une fois où j'étais claqué, j'étais fini, plus capable de faire quoi que ce soit. Je l'ai communiqué au bureau, et François m'a dit: "Écoute, on peut arrêter la tournée là, mais je te connais, tu vas le regretter." Cette phrase est restée dans ma tête. Alors j'ai continué. Mais ç'a été très difficile», précise Michel Courtemanche.

De passage à Paris pour assurer la première partie de l'humoriste, Marie-Lise Pilote a été témoin du surmenage de Michel Courtemanche. En entrevue avec La Presse l'hiver dernier dans le cadre d'un portrait de Gilbert Rozon, elle n'a pas mâché ses mots pour décrire la détresse de son collègue et ami.

«À voir la façon dont Juste pour rire traitait Michel, ça m'a écoeurée. Quand je suis rentrée à Montréal, j'ai décidé de ne pas poursuivre avec eux. Michel était seul en Europe et était médicamenté comme ça ne se peut pas. Ils le laissaient là-bas, lui faisaient des cadeaux pour l'acheter. Il était malade. Juste pour rire pressait le citron énormément sans se soucier de lui.»

Michel Courtemanche n'a pas souhaité que son biographe, Jean-Yves Girard, contacte François Rozon pour recueillir sa version des faits. La Presse a appelé le producteur d'Encore, mais ce dernier a décliné notre demande d'entrevue car il n'avait pas encore reçu la biographie. Il n'a pas souhaité se prononcer sans avoir lu le chapitre qui lui était consacré. 

Se raconter sans détour

En 2011, Michel Courtemanche s'ouvrait publiquement sur sa bipolarité et sa toxicomanie dans L'homme qui faisait des grimaces, un documentaire en deux parties diffusé à Canal Vie. Sept ans plus tard, il accepte de se raconter à l'auteur et journaliste Jean-Yves Girard dans Face à faces alors que Louis Morissette lui propose de publier sa biographie.

«Je me suis dit qu'à 53 ans, j'étais bien trop jeune pour ça!, se souvient Michel Courtemanche. J'ai regardé un peu mon pédigrée professionnel et personnel et j'ai trouvé qu'il y avait peut-être assez de matériel. Alors j'ai accepté. De toute façon, je n'avais rien d'autre à faire!», s'esclaffe-t-il.

Pendant sept mois, Courtemanche s'est ainsi entretenu plusieurs heures par semaine avec son biographe. «Je me suis dit: tant qu'à en faire une, autant la faire à cent milles à l'heure. Je n'ai pas d'enfants, pas de femme, je suis tout seul dans la vie. Les mots qui se trouvent dans le livre ont un impact uniquement sur moi. Ç'a été un exercice assez intéressant de se raconter comme ça. Il y a aussi un côté qui aide les gens. C'était la raison principale du documentaire que j'avais fait, pour informer les gens sur la bipolarité et la toxicomanie. Les détails dans le livre vont plus profondément au coeur de ces deux maladies», précise l'artiste.

«Il m'arrive quand même de me demander si j'ai hâte que ma mère lise ça! Les copies sont dans mon auto. Ma mère a pris plusieurs chocs dans ma vie, notamment quand j'ai fait mon coming out de drogué et de malade mental. Mais elle l'a bien pris. Avec le livre, ça devrait être pareil. Je suis son fils!», ajoute-t-il.

Les adieux à la scène

Dès son plus jeune âge, Michel Courtemanche commence à se produire devant sa famille. Malgré 10 années de gloire sur les planches, il considère être plus à sa place derrière une caméra que sous les feux des projecteurs.

«La réalisation a été la plus belle période de ma vie. La scène a été un hasard. C'était un passage obligé, et je ne le regrette pas non plus», précise l'humoriste, qui a quitté pour de bon la scène le 17 juillet 1997, après avoir craqué devant le public du Festival Juste pour rire au Hangar 16 du Vieux-Montréal. Une crise qui est en fait le résultat de nombreuses années de crises d'angoisse et de psychoses au fil des tournées de l'artiste qui a même songé à mettre fin à ses jours en Normandie. «Un soir, on a dû faire venir le médecin car j'étais incapable de bouger. J'étais sur le sofa, tout habillé pour mon spectacle, mais incapable de bouger, comme si ma tête était détachée de mon corps. Le corps a dit: c'est fini, je ne fais plus de shows, c'est trop. On m'a injecté 3 cc de Valium direct dans les veines. Ça m'a détendu, et j'ai pu faire le show. Mais je ne me rappelle pas grand-chose!», dit-il.

Photo Patrick Sanfaçon, Archives La Presse

C'est derrière la caméra que Michel Courtemanche considère être à sa place, bien plus que sous les feux des projecteurs.

Mais où trouvait-il encore la force de continuer?

«Dans le désespoir!», lance-t-il. En 2016, Courtemanche surprend le public en participant à un gala à ComédiHa!. «Ce que j'appréhendais est arrivé: j'avais peur que quelque chose flanche au début du numéro. La bande sonore n'a pas fonctionné! J'ai dû aller sur scène et expliquer aux gens ce qui se passait. Le pire scénario est arrivé, mais en même temps, ça m'a détendu de faire rire les gens à cause de ça. C'était le numéro du batteur et au bout de deux minutes, je n'avais plus de jus malgré une version raccourcie», se souvient Michel Courtemanche, qui exclut catégoriquement un retour sur scène dans l'avenir.

C'est quand il se trouve derrière la caméra que l'artiste considère de toute manière être le plus heureux et le plus à sa place.

«Caméra café a été une révélation. Je savais que j'allais aimer ça, mais pas à ce point. Je ne dormais plus, je me réveillais avant le cadran pour arriver une heure avant tout le monde. J'étais un enfant, un poisson dans l'eau! Si je peux trouver un projet à réaliser, je vais le faire.»

Courtemanche souhaite ardemment que son projet de science-fiction Side FX, sur lequel il travaille depuis 15 ans, voie le jour, que ce soit sous forme de bédé ou à l'écran.

Avancer avec la maladie

La lecture de la longue liste de médicaments que doit ingérer Michel Courtemanche quotidiennement donne le vertige. L'artiste doit encore aujourd'hui jongler avec sa bipolarité et est encore aux prises avec des épisodes de psychose, dont l'an dernier au Mexique.

«C'est une maladie qui ne se guérit malheureusement pas. Elle se modifie comme un virus, et la médication change constamment. On y va avec l'humeur. Comme là, c'est plutôt difficile à cause de la température. Les bipolaires font des dépressions saisonnières. Gilles, mon psychologue, est devenu un bon ami. Je peux faire une psychose et travailler pareil. Ça arrive dans ta vie de manière pernicieuse. Tu peux travailler pareil. La vie est difficile quand tu es bipolaire», observe-t-il.

Malgré le tumulte que la maladie mentale a pu provoquer au cours de sa vie, Michel Courtemanche ne changerait rien s'il avait une baguette magique. 

«J'ai réalisé que le bonheur est à l'intérieur de nous. Si on est malheureux, c'est que notre bonheur est enseveli sous une épaisse couche de marde! Je suis heureux aujourd'hui. Je n'ai aucun regret. La biographie marque un point. À partir de là, je fais autre chose», conclut Michel Courtemanche, le sourire aux lèvres.

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Face à faces. Biographie de Michel Courtemanche. Un livre de Jean-Yves Girard publié par KO Éditions. En vente dès le 17 octobre.

Photo fournie par KO Éditions

Face à faces, la biographie de Michel Courtemanche. Un livre de Jean-Yves Girard publié par KO Éditions. Disponible dès le 17 octobre.