Ce n'est pas la première fois que Clémence DesRochers annonce qu'elle tire sa révérence.

Pas plus tard qu'à l'automne 2014, elle avait dit au public du Théâtre Outremont que ce « 12e dernier show », qu'elle donnait avec son amie Marie Michèle Desrosiers, serait véritablement son dernier.

Aujourd'hui, c'est bel et bien vrai.

Ce n'est pas que Clémence blaguait auparavant mais, une fois rentrée chez elle, elle s'ennuyait à mourir du public qui l'a fréquentée pendant plus d'un demi-siècle. « J'arrête et je deviens folle », nous a-t-elle déjà dit. Elle a donc cherché de nouvelles façons de faire, imaginant un spectacle-conférence animé par son amie Danièle Bombardier puis créant celui avec Marie Michèle Desrosiers, dont elles donneront les cinq dernières représentations de samedi dernier, jusqu'au 25 avril, à Gatineau.

Clémence nous rassure : à 83 ans, elle est en bonne santé, mais elle est fatiguée.

« C'est très, très intense et je donne la même intensité que quand j'avais 20 ans. J'ai beau être en forme, il y a des soirs où je suis essoufflée. Mais c'est une fin qui se fait par elle-même. J'ai fait mon bout et maintenant c'est des groupes, des humoristes, des chansons et les gens ne me réclament pas pantoute. Je suis remplacée, c'est l'évolution de la vie et je suis d'accord. Oui, je sais que je vais m'ennuyer, mais je m'ennuie beaucoup dans la vie. Je suis gaie... mais une gaie triste. Tu peux l'écrire », lance-t-elle en riant.

Paradoxalement, pour son public, Clémence est une clown. Elle le sait trop bien. Cette tristesse qui l'a pourtant toujours habitée, elle la tient de son père, le poète Alfred DesRochers, dit-elle : « Je le cite souvent : "La tristesse du temps s'imprégnit en mon âme." Moi, j'en ai de ça. » Mais à la différence des poètes qui, comme son père, n'ont pas toujours été adoptés par un vaste lectorat, Clémence a trouvé son public.

« Moi, j'ai toujours écrit pour être écoutée, explique-t-elle. Quand j'ai commencé à écrire pour me venger des soeurs, je savais que je serais sur une scène. Je ne voulais pas publier des livres. Jamais. Je voulais aller parler aux gens, des choses qu'on avait vécues qui se ressemblaient. »

DE LA TENDRESSE À LA FOLIE

Ce faisant, elle s'est inventé un métier qui n'a pas beaucoup d'équivalents, même une soixantaine d'années plus tard.

« Une formule de show où tu passes de la tendresse à la folie, il n'y en a pas, affirme-t-elle. J'ai été chanceuse. Je n'ai fait que deux ans au Conservatoire et j'en suis sortie sans aucun diplôme. J'ai voulu faire du théâtre, j'ai essayé avec Monique Lepage et j'ai fait patate. Pour m'exprimer, j'ai donc décidé d'ouvrir une boîte à chansons. Ça ne s'appelait pas comme ça, c'était une ancienne taverne de l'autre bord du pont. C'était dur en maudit. J'appelais les journalistes : "J'ai un show demain, pouvez-vous venir ?" Il y en a peut-être un qui est venu. Fallait le vouloir, hein ? »

Heureusement, elle a connu Jacques Normand, qui l'a engagée sans lui faire passer d'audition sur la recommandation de la comédienne Nathalie Naubert, qui l'avait vue faire rire les filles après les cours dans l'escalier du Conservatoire.

« Elle lui a dit : "Il faut que tu prennes Clémence, elle est tellement drôle !" J'étais très, très drôle. Donc je suis passée au cabaret Saint-Germain-des-Prés, en face de l'actuelle Place des Arts, avec Jacques Normand, en 1957. Je pense qu'on était huit sur scène : Les garçons de la rue, qu'il avait fait venir de Paris, Pauline Julien, Jacques Desrosiers, moi, Jacques Normand... Il m'a gardée parce que j'ai eu du succès avec mon premier monologue, Ce que toute jeune débutante devrait savoir, ou mon entrée à Radio-Canada. »

Des coulisses, elle observait Jacques Normand, son mentor : « Je l'admirais beaucoup parce qu'il improvisait et il changeait ses textes. C'est de lui que j'ai appris. »

À SA MANIÈRE

Depuis, Clémence en a vu passer, des modes, sinon des révolutions, et elle a continué à faire les choses à sa manière. Pour elle, tout repose sur l'écrit, qu'elle a pratiqué sans machine à écrire ni ordinateur. « Je suis toujours restée au crayon à la mine... et au stylo Bic, qui vaut plus cher, maintenant que j'ai de l'argent », dit-elle en rigolant.

Dans ce métier d'écriture qu'elle aime profondément, elle ne saurait tolérer le manque de rigueur, la répétition... 

« Écrire, c'est survivre. C'est grave. On s'adresse à des gens qui ont besoin d'entendre des choses qui vont les consoler, les toucher. »

- Clémence DesRochers

Contrairement à plusieurs de ses amis et collègues, Clémence n'a jamais épousé publiquement de causes, sinon des « causes humaines », comme la Fondation des Impatients, à laquelle elle est toujours associée.

« J'ai eu assez de subir les soeurs quand j'étais enfant, explique-t-elle. Moi, je suis une fille libre. C'est pour ça que j'ai créé mon métier : pour qu'on ne me dise pas quoi faire.

- Tu n'aurais pas milité pour un parti politique ?

- Jamais de la vie ! répond-elle dans un fou rire. Eux autres, ils n'ont pas besoin de moi. »

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Clémence et son invitée Marie Michèle Desrosiers, à Sainte-Foy le 11, à Sainte-Thérèse le 13, à Brossard le 17 et à Gatineau le 25.