Louis T. (pour Tremblay, en bon Saguenéen) est le «barista» d'Entrée principale à ICI Radio-Canada et l'auteur de capsules humoristiques pour le site de BazzoTV. Très présent sur les réseaux sociaux, où il commente l'actualité (son compte Twitter précise qu'il est «allergique aux militants, qu'ils soient libéraux ou péquistes»), il prépare pour l'an prochain un one man show d'humour politique. Bilan de campagne électorale avec un artiste pour qui l'humour, c'est du sérieux.

Il était temps que la campagne se termine. Il paraît que tu n'en dors plus bien la nuit...

Je passe trop de temps sur les réseaux sociaux. Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant les «trolls», qui ont toujours existé et qui sont souvent des gens à la santé mentale fragile... Mais quand madame Tout-le-Monde écrit à mon ami Adib [Alkhalidey] «Retourne dans ton pays sale porc, arabe de merde, je t'encule» et que tu vois sur sa photo de profil que c'est une grand-mère avec ses petits-enfants, tu te dis que ce n'est plus seulement un cas isolé.

Les conservateurs et les bloquistes ont certainement touché une corde sensible en insistant autant sur le niqab, qui aurait dû être un enjeu mineur de cette campagne. Ils ont bien joué la carte de la peur, notamment chez les personnes âgées.

Je trouve qu'Adib l'a échappé sur le niqab. Comme ça nous arrive tous d'en échapper. J'essaie le plus possible d'étayer mes gags avec des faits. Avec des faits, on peut combattre les perceptions. Parce que les perceptions sont les ennemies des faits. Effectivement, les conservateurs ont compris que c'était une carte gagnante à jouer. Aujourd'hui, c'est la peur des musulmans. Par le passé, ç'a été les Juifs, les Irlandais, les Polonais, les Noirs...

Il y a toujours eu une menace quelque part: les catholiques aux États-Unis, les communistes...

Ça va mieux que jamais sur la planète, mais les gens n'en sont pas conscients. Ils ont l'impression que ça n'a jamais été aussi mal...

Alors que c'est l'une des époques les moins violentes de l'histoire. On est loin du Moyen Âge ou de la Seconde Guerre mondiale.

Il y a moins de crimes, moins de meurtres. Il y a même moins de chômage! Il n'y a jamais eu aussi peu de victimes de guerres alors que plusieurs ont l'impression que le monde est à feu et à sang. C'est faux. La différence, c'est qu'à d'autres époques, on n'était pas bombardé de mauvaises nouvelles par les médias. On nous parle pendant une semaine d'une décapitation, nous donnant l'impression que les décapitations sont largement répandues sur la planète. C'est ce que je reproche aux politiciens: d'utiliser ce climat de terreur et ce sentiment d'insécurité pour se faire élire. Ça changerait quoi, concrètement, dans la vie des gens, si une femme pouvait prêter serment avec son niqab?

Il y aurait moins de votes pour le Bloc québécois! Est-ce que la récupération électoraliste du niqab a voilé, selon toi, des enjeux plus fondamentaux? On a cru que cette politique de la division ne durerait qu'un temps, mais les gens sont allés voter masqués, avec des sacs de patates sur la tête. Les gens ne sont pas passés à autre chose, du moins pas au Québec.

Il y a des gens qui mettent de l'huile sur le feu tous les deux ou trois jours pour s'assurer que le feu reste allumé. La solution, à mon avis, ce n'est pas de polariser davantage le débat. Ce n'est pas de traiter ces gens-là qui ont peur de crétins. C'est de comprendre qu'il y a une peur et tenter de comprendre pourquoi elle existe. Le niqab, c'est un enjeu qui va perdurer jusqu'au jour du vote. Comme les accommodements raisonnables en 2007. Est-ce qu'il y a des racistes parmi ces gens qui sont allés voter avec des sacs de patates sur la tête? Je crois que oui. Une majorité de gens ont un peu peur des étrangers. Souligner qu'un propos est raciste n'équivaut pas à dire de quelqu'un qu'il s'agit d'une mauvaise personne! Environ 80 000 personnes ont voté par la poste aux dernières élections. Ça rend un peu caduc le débat sur le dévoilement de l'identité, même si le symbole est affreux. Moi aussi, je suis contre le niqab.

C'est un symbole d'oppression de la femme...

Et de soumission. Je suis absolument d'accord avec ça. J'ai seulement un bémol sur la manière dont on s'y prend pour décourager les femmes de le porter.

Pourquoi c'est le NPD qui a payé pour l'affaire du niqab? Les libéraux disent la même chose depuis des mois; ce sont les champions du multiculturalisme, de la Charte des droits. Mais c'est le NPD qui semble payer le gros prix...

Le NPD semblait avoir des chances de gagner, alors tout le monde l'a attaqué là-dessus. Mais depuis quelques jours, les conservateurs ne parlent plus que des libéraux. C'est une question de traitement de l'information. Les 8 milliards de litres d'eaux usées qu'on veut rejeter dans le Saint-Laurent, personne n'est pour. Mais quand on a compris qu'on faisait ça depuis des années, on a décidé que c'était moins grave. C'est une question de timing. Et c'est le génie politique des conservateurs de bien l'exploiter. La démagogie des partis se fait tellement à livre ouvert. Stephen Harper en compagnie d'un partisan qui sort des billets de 100$ avec un bruit de caisse enregistreuse pour montrer tout ce qu'il y a à perdre à ne pas le réélire... On ne peut plus leur en vouloir de faire les clowns. Il faut se regarder nous-mêmes.

On a les dirigeants qu'on mérite. Ça me semble être une élection encore plus stratégique que d'autres, où bien des gens sont prêts à voter pour défaire un gouvernement davantage que pour en élire un autre. Quitte à renier certaines de leurs convictions...

Je ne sais pas si c'est une campagne plus stratégique. Je pense qu'on assiste à un ressac du décalage entre les médias et le public. Dans les médias, à Montréal, on a l'impression que tout le monde est anti-Harper. J'en parlais avec des amis humoristes récemment. On fait beaucoup de route au Québec, on va à Sept-Îles, en Abitibi. On prend le pouls des gens, on leur parle et on constate quelles sont leurs valeurs. C'est vrai qu'il y a une insatisfaction et un décalage avec les médias montréalais, qui sont trois degrés plus à gauche que la population. Je ne dis pas que c'est grave ni que les médias doivent être au diapason...

Ça dépend des médias. Les chroniqueurs de mon journal ou les analystes de Radio-Canada sont peut-être plus souvent à gauche, mais je ne dirais pas ça du Journal de Montréal, de façon générale.

Je ne veux pas donner de munitions aux détracteurs de la qualité des médias, mais je comprends les gens en région de ne pas se reconnaître dans le traitement médiatique montréalais. J'ai de la famille à Roberval. On m'en parle. Les médias doivent avoir une réflexion là-dessus. Sur ce décalage. Ils créent un terreau fertile pour des polémistes et des politiciens qui en profitent.

Est-ce que cette campagne a fourni de la bonne matière aux humoristes?

Il y a un très mauvais climat humoristique, en ce moment, pour quiconque privilégie la nuance.