Les Français ne rient plus guère aux blagues éculées sur les Belges mais applaudissent les humoristes du royaume, qui cultivent une longue tradition de surréalisme et d'autodérision.

«Avant, les comiques cachaient leur nationalité belge lorsqu'ils se produisaient en France. Désormais, ils la revendiquent et affichent fièrement leur «belgitude»», témoigne Bernard Marlière, auteur de l'Anthologie de l'humour belge, la première destinée aux lecteurs français.

Walter fait ainsi salle comble depuis des mois au théâtre parisien du Point-Virgule avec un spectacle intitulé Belge et méchant.

Alex Vizorek, autre humoriste populaire, le dit sans ambages sur scène: «En France, j'aime bien commencer mon spectacle en disant: «Je suis Belge», parce que j'ai l'impression que vous nous pardonnez pas mal de choses... parce que vous êtes persuadés qu'on n'a pas «toutes les frites dans le même sachet»».

En moquant ainsi leurs origines avec des expressions bien typées, Walter et Alex Vizorek cultivent le ressort central de «l'humour belge» francophone: l'autodérision.

«Si les Belges sont capables d'autodérision, c'est sans doute parce qu'ils n'ont pas le choix. Nous ne sommes pas grand chose», justifie Pierre Kroll, le célèbre caricaturiste du quotidien Le Soir.

En effet, souligne Bernard Marlière, «le Belge vit en Absurdie, dans un État linguistiquement, administrativement et politiquement bricolé». «Le bizarre lui va à merveille», ajoute-t-il, en donnant l'exemple de l'invraisemblable crise politique qui avait privé le royaume d'un gouvernement de plein exercice durant 541 jours en 2010 et 2011, un record mondial.

Cultiver un humour décalé «permet aussi de supporter les hivers longs et la grisaille du ciel», témoigne Bernard Marlière, directeur de L'os à moelle, l'un des café-théâtres les plus populaires de Bruxelles.

Son anthologie, publiée ces jours-ci en France par l'éditeur bruxellois Jourdan, offre les textes d'une soixantaine de Belges qui «ne se sont pas trop pris au sérieux» depuis 200 ans.

Une place de choix est réservée à l'un de ceux ayant le mieux réussi en France, Raymond Devos, né à Mouscron (ouest) en 1922 et décédé en 2006. Il faisait «valser la langue» avec «le paradoxe, le non-sens et l'absurde, terrains privilégiés de l'humour de son pays natal», souligne Bernard Marlière.

L'un de ses héritiers en «Absurdie» est le dessinateur et comédien Philippe Geluck qui, à 58 ans, «figure déjà dans le Larousse, a été décoré par son roi et dont une école porte le nom», précise l'auteur.

Son personnage fétiche, Le Chat, fait rire Belges et Français depuis trois décennies avec ses «mises en abyme» et ses «fausses évidences» du genre «Les nains sont les derniers à savoir qu'il pleut» ou «Le type qui a inventé le téléphone a dû être très ennuyé de n'avoir personne à appeler».

Pour les humoristes belges actuels, tenter sa chance sur une scène parisienne est une évidence. Car «il est difficile de vivre de son art en Belgique, qui ne compte que quatre millions de francophones», explique Bernard Marlière.

À l'image de Sandra Zidani, Bruno Coppens ou Virginie Hocq, ils sont aussi nombreux à jouer les potaches aux émissions humoristiques de radio et de télévision.

Ils y croisent parfois trois comédiens du Plat pays alliant humour et gravité, François Damiens, Yolande Moreau et Benoît Poelvoorde, ce dernier étant fier de la «mélancolie joyeuse» qui s'attache à sa «belgitude».