Jean-Guy Moreau a célébré l'automne dernier ses 50 ans de carrière. À l'occasion de la parution de sa biographie signée par sa fille Sophie, il revient sur le métier d'imitateur qu'il a pratiqué à sa façon à défaut de l'inventer.

Jean-Guy Moreau ne voulait pas d'une biographie qui se concentre sur les dates et les faits. «Je voulais juste donner le feeling», dit-il de ce livre signé par sa fille Sophie qui s'intitule 50 ans, 1000 visages. Le feeling d'un petit gars d'Ahuntsic qui, inspiré par les imitations de son père dans les fêtes de famille, se glissait déjà à 8 ans dans la peau de son idole Félix Leclerc à l'école, mais qui se serait peut-être consacré aux arts plastiques si son ami de toujours Robert Charlebois, avec qui il faisait de la musique, ne l'avait pas poussé vers l'imitation. Le feeling aussi d'un jeune homme qui se produisait déjà à 20 ans à la Comédie canadienne (le TNM actuel) avec Pauline Julien et qui a un peu beaucoup inventé le métier d'imitateur tel qu'on le connaît aujourd'hui au Québec.

Dès la Comédie-Canadienne en 1964, Moreau a compris qu'il ne lui suffirait pas d'imiter à la perfection des personnages publics; il allait aussi et surtout leur faire dire des choses: «C'est là qu'est mon plaisir: le personnage qui parle à ma place», dit-il encore aujourd'hui. Les premiers textes qu'il a commandés à une connaissance qui travaillait à la radio n'étaient que le prélude de ses collaborations fructueuses avec les auteurs Jacqueline Barrette, Jean-Pierre Plante et Jacques Beaudry.

Aujourd'hui encore, on l'identifie à ses imitations du maire Drapeau et de René Lévesque, pourtant ce n'est qu'en 1975, juste avant l'accession au pouvoir du Parti québécois, qu'il a finalement décidé de prêter sa voix à des personnages politiques dans Tabaslak, «un cadeau» de Jacqueline Barrette. Au fil du temps, il a également appris qu'un imitateur pouvait aussi être méchant. «Si tu es tout seul à être cynique face à un personnage, tu fais fausse route, dit-il. Mais si la salle est d'accord, t'en fais jamais assez. Mais il ne faut pas le faire gratuitement, être méchant pour être méchant comme RBO l'a été. RBO était génial par moments, mais inégal.»

Le compliment d'Angélil

Ces réflexions sur le métier de «capteur d'âmes» sont ce qu'il y a de plus intéressant dans cette biographie que le principal intéressé n'avait pas encore lue quand nous nous sommes rencontrés. «Ça aurait biaisé mon rapport avec Sophie, explique-t-il. De toute façon, qu'est-ce que ça changerait si je l'avais lue? Je trouverais peut-être qu'elle n'a pas compris ce que je voulais dire, comme dans toute entrevue que j'ai donnée depuis 50 ans. On comprend ce qu'on veut bien comprendre, mais c'est bien comme ça.»

L'un des compliments qui l'ont le plus touché lui est venu de René Angélil, le personnage central du spectacle «très nationaliste» Le chum à Céline dont l'imitateur se servait pour faire passer ses idées sur l'indépendance et la loi 101 à la fin des années 90. «Angélil a dit: «Il est fort Moreau, il a pogné ma façon de penser.» C'est exactement ce que je souhaite faire et ce que je pense faire. Je vois dans ce commentaire l'intelligence et le grand talent de René Angélil qui sait lire ce métier-là pour les autres.»

Moreau évoque ses modèles américains -il préfère le terme «impressionnist» à celui d'imitateur- et les Québécois qui l'ont précédé, les Jacques Normand, Jean Mathieu -«le premier à imiter René Lévesque»-, les Jérolas et Jacques Desrosiers -«je n'ai jamais vu une imitation de Gilbert Bécaud aussi folle.» Il parle avec enthousiasme des plus jeunes qui ont choisi le même métier, les Pierre Verville, Marc Dupré et Steeve Diamond: «Ce sont eux qui parlent, ils deviennent des créateurs avec la voix des autres. Il y a des façons qui me plaisent plus que d'autres, mais c'est comme Céline Dion qui écoute d'autres chanteuses. Sauf que je ne suis pas Céline Dion...»

Pour Moreau, André-Philippe Gagnon est le «plus grand performeur de l'imitation» qu'il a vu». Comme Gagnon, il a eu l'idée de faire un numéro autour de We Are the World: «Je ne voulais pas le faire comme un miroir, précise-t-il. Avec Mégo, j'ai commencé à écrire une parodie qui disait «oui on souffre, on est de tout coeur avec eux puis on s'en va jouer au golf»!»

Se sentir utile

L'imitateur qui affirme n'avoir jamais eu d'ambition ni de plan de carrière s'identifie aux caricaturistes comme Chapleau: «On peut assassiner des gens, on n'ira jamais en prison. Pour le public, c'est un exutoire, un miroir humoristique de ce qui se passe. Quand je réussis ce genre de lien entre ce qui se passe dans la tête des gens et mon petit numéro, je me sens utile. Je me suis souvent senti utile depuis 50 ans, surtout dans les dernières années.»

Pourtant, Moreau s'est fait plus discret au cours de la dernière décennie. Mais ce ne sont pas les projets qui manquent. L'aventure de la Boîte à chansons, avec Gauthier, Calvé, Létourneau et Jérôme Charlebois, ne semble pas vouloir s'arrêter et, avec le producteur Avanti, il a soumis à Radio-Canada une émission sur ses 50 ans de carrière, déjà scénarisée, dans laquelle interviendraient tous les gens qu'il aime et qui l'aiment, dont des personnalités imitées. Il planche également sur un spectacle coanimé par le maire Drapeau qu'il voulait au départ présenter dans les cinémas Guzzo. Et après un projet internet qui s'est terminé en queue de poisson faute de fonds, il commence ces jours-ci à tourner dans une websérie où il formera un duo de détectives avec Maxim Martin.

On a peine à croire que cet homme débordant d'idées et d'énergie se remet à peine des complications d'une autre intervention chirurgicale pour replacer son défibrillateur, moins d'un an après qu'il a subi une fracture de la hanche. «Je suis toujours à l'hôpital, dit-il en riant. Pour moi, c'est comme rentrer mon char au garage. Mais je veux que mon char marche. Dans ma tête, j'ai 38 ans.»

Jean-Guy Moreau: 50 ans, 1000 visages

Sophie Moreau

Éditions Michel Brûlé