Vivier de la scène humoristique québécoise, l'École nationale de l'humour voit les années passer et le profil des candidats qui cognent à sa porte changer: cette année, 10% des jeunes qui ont voulu entrer à l'ENH provenaient des communautés culturelles, tout comme le tiers de ceux qui y sont parvenus. Une tendance qui confirme que l'humour s'accorde maintenant au Québec pluriel...

La relève chez les humoristes québécois est plus multiethnique que jamais, dit Louise Richer, la directrice générale de l'École nationale de l'humour (ENH) depuis sa création, il y a 22 ans.

Rachid Badouri, Boucar Diouf, Anthony Kavanagh et Michel Mpambara ont fait des petits! «La plupart sont des jeunes de la deuxième génération, dit Louise Richer. Il y a une meilleure représentation des communautés culturelles: trois étudiants de première année sur dix ont une origine étrangère et 10% des candidats en première année.»

On est encore loin de la représentativité des communautés qui prévaut chez les humoristes anglophones mais une tendance est en marche. «Ça ne fait que quelques années qu'on voit des humoristes non pure laine dans les bars», dit Lucie Rozon, vice-présidente programmation au Groupe Juste pour rire.

Trois moitiés!

Parmi les finissants de l'ENH, il y a une étoile montante: Adib Alkhalidey. Avec ses collègues finissants, il montrera aux Montréalais ce qu'il sait faire lors d'un spectacle au club Soda, le 26 mai. «C'est un phénomène», dit Louise Richer.

Adib est moitié irakien moitié marocain moitié québécois. Pas mal de moitiés pour un jeune de 22 ans qui a eu la chance de croiser un orienteur qui a décelé du talent chez ce «petit drôle de la famille» aux cheveux frisés. «On riait de moi à cause de mes cheveux, je me suis dit que j'allais faire rire les autres», dit-il.

Parlant français, anglais et arabe, il a fini par trouver son style et des thèmes qui touchent tout le monde. Il se réjouit de l'émergence de plus d'humoristes d'origine étrangère au Québec.

«Quand j'étais jeune, je trouvais ça malheureux qu'il n'y ait pas de Gad Elmaleh ou de Djamel Debbouze ici, dit-il. Les jeunes Maghrébins s'identifiaient plus à des Français alors que c'est tellement loin de la réalité québécoise...»

Les trois étudiants de première année de l'ENH issus des communautés culturelles sont Michel-Anthony Schmit-Craan, Dominique Bottex-Ferragne et Gabriel D'Almeida-Freitas.

Les parents de Michel-Anthony sont d'origine haïtienne. Schmit-Craan, c'est haïtien? «Non, c'est hollandais, répond-il. En fait, mes deux parents ont des racines néerlandaises! Ça se voit, non?!» En fait, la mère de Michel-Anthony, malheureusement décédée en octobre, avait la peau très blanche, précise l'humoriste en montrant une photo.

Âgé de 24 ans, Michel-Anthony est fier de ses racines mais se sent très québécois. Il parle français et anglais, voire «franglais». Il a étudié l'histoire à l'UQAM après avoir fait de l'impro au secondaire et de l'animation au cégep. «Tous mes amis me voyaient en arts ou en communication mais pas en histoire. Sauf mes parents! Dans ma famille, on aime les arts. Ma soeur a fait une adaptation haïtienne de Macbeth et mon frère, c'est DJ Timer!»

Vocations précoces

Âgé de 19 ans, Gabriel D'Almeida-Freitas a eu la révélation du Saint-Graal de l'humour à 13 ans. Il était si motivé qu'à 15 ans, il suivait un cours du soir à l'ENH. Il se dit « portugais avant d'être québécois » à cause de la culture de ses parents. «Je n'ai pas la même vision que d'autres Québécois, dit-il. Mes parents sont plus stricts. Je peux utiliser ça dans mes numéros!»

Parmi les nouveaux venus qui intègreront l'ENH en septembre, il y a deux Français et deux Québécois d'origine orientale, l'humoriste Rabii Rammal et l'auteur Raphael Teberjian.

Rabii a 20 ans. Il a fait du design industriel au cégep puis a étudié en multimédia à l'université avant de se lancer dans la course pour une place à l'ENH. Il est très heureux d'avoir été retenu.

«J'écris depuis longtemps, dit-il. Des observations sur des trucs ordinaires. J'ai déjà fait des interventions au Comedy Nest, notamment la présentation d'un numéro de sept minutes au terme de dix semaines de formation avec Joey Elias, devant plus de 200 personnes. J'ai vraiment tripé. J'ai eu la confirmation que c'est ce que je veux faire.»

Raphael Teberjian entre comme auteur à l'École. Né à Beyrouth de parents arméniens témoins de Jéhovah, il tente sa chance dans l'humour après avoir constaté qu'il n'aimait plus trop la philo étudiée à l'UQAM. Âgé de 24 ans, il a vécu bien des expériences de vie. Josée Charland, coordonnatrice à l'administration et aux spectacles à l'ÉNH, voit en lui une vraie graine de François Avard.

«Des bibittes comme Raphael, on en voit passer et c'est surprenant ce que ça donne en terme de nouveaux contenus, dit-elle. On a souvent reproché à l'école d'être une usine à saucisses, de les former tous pareil alors qu'en fait, on leur laisse développer leur propre style.»