Sur les sièges du Théâtre Saint-Denis, des sacs de papier brun attendaient chaque spectateur hier soir à la première médiatique du nouveau spectacle de Guy Nantel.

Il ne manquait que des trous devant les yeux pour qu'on les mette. Car il existe pas mal de raisons pour avoir honte collectivement. Et il existe pas mal de choses à changer, rappelle-t-il dans La réforme Nantel, son troisième one-man show. «On rit pour pas brailler», lancera-t-il.

En effet, on rit beaucoup. Nantel propose son spectacle le plus grinçant et le plus achevé. Il plante le couteau dans nos plaies sociales, le tournoie un peu puis s'arrête quelques secondes, les yeux pétillants, pour savourer les rires avant de recommencer. On rit jaune et noir, on voit souvent rouge et on ne s'ennuie jamais.

On avait presque oublié à quel point un spectacle d'humour pouvait être simple. Nantel en pond un avec presque rien. L'éclairage noir et blanc est très épuré. On entend seulement trois très courts extraits de musique. Et il n'y a pratiquement pas de décor (mise en scène de Denise Filiatrault, éclairage d'Yves Aucoin) L'humoriste paraît tout petit sur la grande scène du Saint-Denis, d'autant plus qu'il bouge peu et que son charisme reste assez limité.

Tout repose donc sur le texte, un long monologue qui n'est pas découpé en tableau. Bref, l'exercice est un peu casse-gueule.

La réussite est d'autant plus impressionnante. Nantel dit avoir travaillé une année et demie sur le texte, et ça paraît. Il est dense, plein d'esprit et presque toujours drôle. Le spectacle aborde un peu tous les sujets, de la chirurgie esthétique aux parachutes dorés en passant l'obésité, le système carcéral et notre schizophrénie politique. Une généreuse place est aussi accordée à la guerre des sexes et à la place du religieux. Le fil conducteur: notre bêtise individuelle, collective et aussi celle de nos institutions. Nantel braque les projecteurs dessus pour qu'on le voie mieux la tabasser ensuite.

Il y a de la satire, des diatribes et, surtout, de la provocation. C'est son arme préférée, et il la manie plus agilement et audacieusement que jamais. Nantel fait de la bonne provocation - celle qui provoque la réflexion.

Il s'amuse à déstabiliser le spectateur. Par exemple, il s'aliène la foule en relativisant les morts causées par le taser. Après se l'être mise à dos, il la ramène juste à temps en défendant une thèse contraire. Il jouera souvent ainsi au yoyo avec nous pour comiquement ébranler nos certitudes.

Nantel fait aussi un peu de provocation gratuite, mais en juste assez petites doses pour qu'on rie. Sûrement que certains ont été offensés. Mais quant à nous, on ne le lui reproche pas. Quand l'humour reste inoffensif, c'est souvent mauvais signe.

Certaines de ses cibles ne méritent pas de pitié. «C'est comme si le capitaine du Titanic avait demandé un tip au monde avant de les sacrer à l'eau», dira-t-il au sujet des primes de départ chez Nortel.

Il dose aussi bien les mots crus, ce qui augmente leur efficacité. Avec les parachutes dorés, on a renversé le concept de la prostitution, remarque-t-il. «Avant, c'est celui qui fourrait qui payait l'autre...»

C'est quand il parle de religion qu'il devient le plus cinglant. Nantel tape furieusement sur l'obscurantisme et l'intégrisme. Il plaide pour un Dieu «silencieux et invisible». On croirait voir un Christopher Hitchens, avec en prime le sourire.

Notre seule réserve, c'est la finale. Nantel abandonne son chapeau d'humoriste pour parler avec ses tripes. Il veut nous convaincre non pas d'adopter une idée, mais plutôt une attitude: se responsabiliser. Reste qu'il perd alors sa distance des sujets traités. La foule boit ses paroles tandis que de notre côté, on ressent un petit malaise. Depuis le début de la soirée, Nantel défaisait ce qu'un collègue a déjà nommé le syndrome Tout le monde en parle: des bons sentiments partagés par une foule qui hoche simultanément de la tête en se gargarisant de petite vertu. Puis il y cède en toute fin.

Mais ce n'est qu'un bémol. Avec sa Réforme, Guy Nantel espérait créer un spectacle qui ferait rire, réfléchir et qui servirait de témoin à notre époque. C'est réussi, dans les trois cas.