Oscar Souto s’exclame, pendant que son camarade sourcille, pas sûr de se reconnaître dans ce qu’il entend. « N’importe qui d’autre ferait des chansons comme ça et ce serait juste vulgaire pour être vulgaire. Avec Mononc’, il y a un raffinement, une élégance dans le texte, que tu ne retrouves pas ailleurs. » Le grand curé de la rime trash, Serge de son prénom, et les légendes du thrash métal local, Anonymus, célèbrent les 20 ans de L’académie du massacre.

Raffiné, Mononc’Serge ? Le grand timide s’en défend, bien qu’il faille bien l’admettre : personne d’autre ne saurait, sur un même album, scander « Fuck you Maman Dion » et citer… Heidegger.

C’est à la défunte radio COOL FM que le punk sommeillant en Serge Robert reçoit sa première ration de validation. « Quand j’ai entendu qu’une nouvelle radio rock naissait à Montréal, je m’imaginais qu’ils feraient jouer du Éric Lapointe et La Chicane, se souvient-il, ce genre de rock-là. » Mais contre toute attente, la station sera fidèle, pendant une brève période, à son engagement envers la marge musicale, du jamais entendu pour une radio dite commerciale.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Serge Robert

Des artistes obscurs comme Les Cowboys fringants, WD-40 et Arseniq33 fréquenteront ainsi pour la première fois (et pour la seule, dans bien des cas) les sommets des palmarès. Marijuana, l’hymne ironique de Mononc’Serge à ce que la feuille verte ne soit jamais légalisée, le métamorphosera aux yeux de beaucoup en irrésistible figure d’insubordination contre-culturelle.

« L’idée que j’appartienne à l’underground, pour moi, c’était quelque chose de complètement farfelu », se rappelle Monsieur Robert, 53 ans, bien calé dans le fauteuil élimé du local de répétition d’Anonymus. « Je m’étais toujours vu, d’abord et avant tout, comme un auteur de chansons dans la tradition de Brassens, et c’est comme ça que je continue de me voir », dit-il, bien que son personnage libidino-blasphématoire l’ait depuis longtemps avalé.

À l’été 2001, c’est donc en toute logique, mais au grand étonnement du principal intéressé, que tonton Serge est invité à monter à bord de la caravane alterno du Pollywog, le Lollapalooza québécois de l’époque, à laquelle participent cette année-là Lofofora, Groovy Aardvark, Raid et Anonymus.

Clairvoyant, le gérant d’Anonymus leur propose d’inviter le p’tit nouveau à hurler Marijuana, avec eux, au rappel, la chanson correspondant naturellement au muscle des blast beats et des amplis crinqués à 11.

La tournée allait bien pour nous, mais quand on s’est mis à jouer cette toune-là [Marijuana], il se passait de quoi.

Oscar Souto

Union impie

Le fruit de cette union impie entre le thrash métal et la parole trash donnait en 2003 L’académie du massacre, un titre en forme de crachat au visage de Star Académie, la téléréalité qui cristallisait alors tout le contraire des valeurs incarnées par cette fusion atomique entre les outrances langagières d’un Mononc’Serge et la distorsion d’Anonymus, formé d’Oscar (basse) et de Daniel Souto (guitare), de Carlos Araya (batterie) et de Marco Calliari (guitare, depuis parti pousser la chansonnette italienne, remplacé par Jef Fortin).

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Mononc’Serge et Oscar Souto en décembre 2003

Avec ses relectures galvanisées de classiques du répertoire de Mononc’Serge comme Les patates, Mourir pour le Canada et Le gala de l’ADISQ, le premier album du supergroupe de la profanation cristallisera l’image de Mononc’Serge en tant que poil à gratter du showbiz québécois. Presque contre son gré.

Extrait de Patates, de Mononc’Serge et Anonymus

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« Quand j’ai quitté Les Colocs, j’ai écrit des chansons plus sérieuses, que j’ai présentées en spectacle, et que personne ne voulait. » Après avoir perdu ses musiciens au profit de Lhasa de Sela (dont le guitariste Yves Desrosiers), Serge Robert aboutit en ondes à CIBL en 1997, où il pond des ritournelles bêtes et méchantes inspirées de l’actualité. C’est lorsqu’il étrive Jacques Villeneuve qu’une maison de disques se manifeste enfin.

« J’ai été pris au piège ! », s’exclame-t-il, sur le ton de celui qui plaiderait non coupable, et pour qui la principale joie que contient une chanson comme Sébastien Benoît est non pas de scander qu’il n’aime pas l’animateur, mais d’entendre ses amis métalleux hurler dans la deuxième partie du texte qu’eux l’adorent.

Mais l’envisage-t-il encore comme une prison, que ce ton déflagrateur auquel on l’a souvent réduit ? Parce qu’à bien y penser, des auteurs de chansons sérieuses, il en existe des milliers, alors que des auteurs de chansons sur les pommes de terre ou sur l’enflure mortifère d’un spectacle de Pink Floyd…

« C’est juste que des fois, répond Mononc’, je mets beaucoup de temps et d’efforts dans des chansons dans lesquelles je travaille chacune des lignes, et tout le monde se fout de ces chansons-là. Mais des fois, j’écris une chanson qui à mes yeux est complètement garrochée, et c’est toujours celle-là que les gens finissent par aimer. »

« Mais je sais qu’il y a un plaisir dans la transgression, à rire de ce dont on ne devrait pas rire. » Raffiné, et sage, l’oncle Serge.

Ce samedi 17 juin, à 21 h, au MTELUS, et en tournée partout au Québec

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