Elle se fait appeler Calamine, mais elle veut que son rap pique. Moitié nerd, moitié geek de rimes qui frappent, elle gratte les bobos qu’elle observe dans son quartier, Hochelaga-Maisonneuve, et espère bien choquer les bobos.

Calamine a le verbe frondeur et un humour juste assez baveux pour choquer les oreilles farouches sur son nouvel album, intitulé Décroissance personnelle. Il s’en trouve pour s’offusquer de la langue utilisée par cette rappeuse dans ses chansons – un français qui sonne, truffé d’expressions anglaises –, mais ceux-là ne se sont sûrement jamais assis avec elle pour discuter ni de ses tournures de phrases ni des lectures qui l’aident à se façonner une vision du monde.

Le matin de notre rencontre, la jeune femme de 32 ans avait en main son dernier achat : un essai publié par Écosociété demandant si l’écosabotage « gagnerait à faire partie de l’arsenal tactique des activistes du climat ». Anticapitaliste dans un monde dominé par la finance, lesbienne dans un monde hétéro, artiste dans une société menée par les chiffres, Calamine n’est pas la petite amie du statu quo, disons.

Extrait de Gentrifornication, de Calamine
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« Mon chemin ne s’est pas tracé juste avec des inspirations musicales », dit la rappeuse citée l’an dernier à l’ADISQ pour son album Lesbienne woke sur l’autotune.

Je ne pense pas que je pourrais faire de la musique qui ne serait pas politique. Je passerais vraiment à côté de quelque chose si je ne saisissais pas l’occasion pour partager des idées, d’essayer d’aller vers l’égalité, l’ouverture et la solidarité.

Calamine

Du pinceau à la plume

Calamine a grandi à Québec et n’a pas toujours rêvé de tenir un micro sur une scène. Elle aime le rap depuis qu’elle est très jeune – Eminem, Snoop Dogg, 50 Cent –, mais a mis du temps à se projeter dans le rôle de MC. Comme femme queer, elle ne correspondait pas vraiment à l’image que le rap lui renvoyait.

« Ça a joué dans le fait que je ne me suis pas imaginée en faire, convient-elle. Au Québec, il y avait eu Jenny Salgado [dans Muzion], mais sinon après ç’a été long avant qu’il y ait une Sarahmée. Le fait que ce soit un univers à la masculinité exacerbée fait que ça ne m’a pas traversé l’esprit d’en faire, quand j’étais plus jeune. »

Extrait de La 34, de Calamine
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Avant de manier la rime, elle tenait plutôt le pinceau. « Je voulais être peintre », dit Calamine, qui a fait des études en arts visuels. « Après mon bac, j’ai frappé un mur, se rappelle-t-elle. J’ai trouvé ça tellement solitaire, la peinture. Je ne voulais pas être tout le temps toute seule et j’avais l’impression que ça ne me permettait pas d’aller au bout de ce que je voulais dire. » Elle s’est débarrassée de son atelier et s’est repris un local de musique.

Repris ? Oui, parce qu’avant de se consacrer au rap, Calamine avait déjà tâté de la musique. « Je faisais plus du blues, folk, bluegrass. Je joue beaucoup de guitare. Avant ça, j’avais plus joué dans des bands de métal », raconte-t-elle. Devant mon air interloqué, elle précise : « Moi, je tripe sur la musique, sur la composition. Peu importe la direction que ça prend. »

Les mots qui sonnent

Son plaisir – sa drogue, est-on tenté de dire – est de ciseler ses phrases, de trouver les rimes qui font sens. « Je suis vraiment pointilleuse. Il faut que chaque ligne ait une raison d’être. Il n’y a pas de rimes bouche-trou [dans mes textes] », dit Calamine, qui se qualifie elle-même de geek sur le plan de l’écriture. On en a la preuve, s’il en fallait une, lorsqu’elle raconte avoir remporté à l’adolescence un concours d’écriture avec un poème sur l’écologie écrit en… alexandrins.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« Le rap est une musique du peuple. Une musique de la communauté pour parler de sa communauté », souligne Calamine.

Tu peux dire tellement de choses dans un texte de rap. En musique, il n’y a pas beaucoup de textes qui sont aussi denses en métaphores et en poésie.

Calamine

Son art de la parole est aussi un art du dévoilement et de l’affirmation de soi. L’authenticité étant une valeur cardinale dans le rap, il a toujours été clair pour elle que ses chansons parleraient de ses idées anticapitalistes et féministes, ainsi que de son homosexualité. Ce qu’elle fait en évoquant autant ses parties de jambes en l’air avec sa blonde (Oh la la) qu’en fustigeant l’embourgeoisement de son quartier, Hochelaga-Maisonneuve (Gentrifornication).

« Le rap est une musique du peuple. Une musique de la communauté pour parler de sa communauté, souligne-t-elle. Ça allait de soi. » Or, quand on est une personne queer, une chose aussi courante que d’écrire une chanson d’amour devient inévitablement politique, ajoute-t-elle.

Extrait d'Oh la la, de Calamine
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« J’ai passé ma vie à être capable de me projeter dans des films avec des relations hétéros et dans des chansons avec des relations amoureuses hétéros, dit Calamine. On dirait que j’ai envie de faire le pari d’écrire une toune d’amour lesbienne dans laquelle tout le monde pourrait se reconnaître. »

Être et envoyer paître

Calamine est bien consciente qu’elle dit dans ses chansons des choses qui peuvent déranger. Que ce qu’elle est peut déranger. Que sa manière de s’exprimer dans ses chansons peut déranger. Elle le signale d’ailleurs avec humour en ouverture de son album Décroissance personnelle où elle juxtapose des propos de commentateurs médiatiques qui ironisent à son sujet ou se moquent du « wokisme ».

« Moi, je me trouve quand même relaxe dans mes propos, précise-t-elle. Je sais qu’il y a des réactions comme ça parce que le discours politique est ultrapolitisé en ce moment, mais je pense que le climat social et la situation climatique exigent qu’on arrête de se tempérer. »

Calamine et son collègue Kèthe Magané, avec qui elle écrit ses musiques, attendent les détracteurs. « On se dit que si on ne choque personne, c’est qu’on ne prêche qu’aux convertis », expose-t-elle. Calamine ne sait pas encore si elle a les épaules aussi solides que celles de Safia Nolin qui a « mangé une déferlante de cochonneries », mais elle ne se défile pas : elle est là pour que « ça brasse ».

Calamine est en concert à Rimouski ce samedi et en tournée québécoise.

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Décroissance personnelle

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Calamine et Kèthe Magané