Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif s’entretient avec ses invités comme s’ils étaient seulement entre eux, sans micro. Anecdotes, réflexions, confidences : ces longues rencontres sont autant d’occasions de prendre congé de l’actualité et de s’imaginer que nous avons tout notre temps.

Gisèle et Nicole avaient quitté Drummondville ce matin-là en se promettant une chose. « Si on rencontre Richard Séguin, on dit un chapelet en revenant », confient-elles au principal intéressé, amusé. Chapelet, elles ont dû dire. Récit d’un après-midi en compagnie du chanteur.

Le plus célèbre citoyen de Saint-Venant-de-Paquette aperçoit le premier les deux dames et se rend tout de suite à leur rencontre, pas du tout avec l’attitude de l’artiste qui vient cueillir ses fleurs, mais plutôt en homme fier de son village. Gisèle et Nicole n’en reviennent juste pas. Quelques mots échangés devant l’église et voilà que leur journée est faite.

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Nous avions l’impression – le photographe Dominick, le technicien de son Bastien et moi – que nous nous rendions à Saint-Venant-de-Paquette, le petit village estrien dont Richard Séguin a fait son repaire (et son repère) tranquille depuis 1973, afin d’enregistrer une entrevue. Nous ne nous doutions pas que nous passerions l’après-midi au complet avec lui.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Richard Séguin dans l’église de Saint-Venant-de-Paquette

« Il y a une sacralité païenne qui m’habite », répond-il à une question sur sa vie spirituelle – une question appropriée puisque notre entretien s’est déroulé dans la sacristie de l’église de Saint-Venant, aujourd’hui une galerie d’art. Et cette « sacralité païenne » s’incarnera cet après-midi-là non seulement dans une exceptionnelle attention à l’autre, mais aussi dans un sens certain du rituel.

Loin de la ville

Pas question de s’installer pour l’entrevue sans avoir au moins un peu fait connaissance. Richard nous accueille, main tendue, dès que nous descendons de la voiture et nous invite immédiatement à prendre un café à la Maison de l’arbre, où il nous présente tout le monde. C’est là que nous retournerons une fois l’entrevue bouclée, afin de nous réchauffer autour d’un thé, l’église étant frisquette.

C’est à la Maison de l’arbre que nous jaserons, sans micro ni enregistreuse, de Jack Kerouac, du groupe The War on Drugs (que je lui fais découvrir) et de Dylan, plus précisément de sa chanson Murder Most Foul, une équipée de près de 17 minutes à travers l’histoire des États-Unis, qu’il écoute en boucle dans son atelier de gravure. « Sa voix devient pour moi comme un mantra. »

Richard Séguin, enfant de l’est de Montréal, a beaucoup chanté l’urbanité dans les années 1980 et 1990, mais l’a toujours, paradoxalement, écrite à partir des temples que sont ces amples territoires appalachiens.

Pas une chanson de son répertoire – « sauf cinq ou six », concède-t-il – n’a été écrite ailleurs qu’à Saint-Venant, depuis Deux cents nuits à l’heure, l’album de Fiori-Séguin qui a failli réunir non seulement Serge et Richard, mais aussi Michel Rivard. Voilà un des grands « et si ? » de l’histoire de la musique québécoise.

« En étant loin de la ville, parfois, tu t’en rapproches, tu as une meilleure perspective de ce qui peut se vivre en ville, explique notre hôte. Quand j’arrive ici, je me retrouve devant ma feuille et je vois un paquet de gens que j’ai côtoyés durant la tournée. »

« Ils vivent à l’intérieur de nous »

Comme Bruce Springsteen (à qui il a déjà prêté une guitare), Richard Séguin a souvent témoigné du quotidien du prolétaire, mais n’a jamais eu, lui non plus, de « vraies jobs », outre un bref emploi de concierge. « J’ai l’impression d’avoir donné la parole à une génération qui ne l’avait pas », dit-il en évoquant La raffinerie (1988), inspirée de la vie d’usine qui a brisé son père.

Richard Séguin avait déjà écrit, à plusieurs occasions, au sujet de son paternel, mais n’avait jamais mené le même exercice pour sa mère, avant la magnifique Tout près des trembles, tirée de son plus récent album, Les liens les lieux. Comme pour élever un phare au milieu de nos échanges, l’auteur-compositeur cite une écrivaine chère à son cœur afin de décrire sa relation avec ses parents en allés.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Richard Séguin

« La poétesse Mélanie Noël disait : “Ils vivent à l’intérieur de nous. » Et c’est un fait : nos parents vivent à l’intérieur de nous. Ils sont disparus, peut-être, mais ils sont toujours là. Et je trouve qu’en vieillissant, on s’en aperçoit encore plus. Je me sens plus près d’eux autres, même avec le temps qui passe. »

« J’ai l’espoir volontaire », résume Richard Séguin, au sujet de son refus de baisser les bras, malgré toutes les raisons de se laisser avaler par le cynisme. Comme sa mère, fervente catholique, Richard Séguin est un homme de foi, mais qui, plutôt que de croire en la communion des saints, croit à la sincérité d’un regard et à cette douce résistance qu’il est possible d’opposer à l’accélération de tout.

Au fond des Appalaches, il continue de venir à Richard Séguin l’envie d’y croire, simplement pour y croire, comme il le proclamait en 1995 sur D’instinct. Nous n’avons pas dit de chapelet en rentrant vers Montréal, mais nous avions avec nous ses chansons.

Richard Séguin sera au Théâtre Maisonneuve samedi à 20 h à l’occasion des Francos.

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Trois citations tirées de notre entretien

À propos de son amitié avec le peuple innu

Richard Séguin et Florent Vollant se sont liés d’amitié il y a plus de 30 ans, lorsque l’ex-Kashtin est devenu son voisin dans Outremont. C’est Richard qui a fait découvrir Montréal à son ami – il raconte à notre micro un spectacle particulièrement mémorable de Neil Young et Crazy Horse auquel ils ont assisté au Forum. Florent l’a ensuite convié à Mani-Utenam, à marcher dans le bois. Ils sont cet été les passeurs du 40Festival en chanson de Petite-Vallée. « On se dit, Florent et moi, que la musique a le pouvoir de réunir les communautés. Si on a quelque chose à dire, c’est que par la musique, on peut créer des liens profonds, de grands liens de fraternité. »

À propos de ce à quoi il dit non

« Aller à la télévision quand on te demande autre chose que chanter. C’est étrange, mais il y a peu de place pour la chanson dans les médias, à la télévision, même à la radio. C’est comme si ça n’avait pas son importance, ç’a été banalisé, ça se réduit tout le temps. Même nos chansons, à la télévision, ils vont trouver que c’est trop long. Trois minutes, c’est long, donne-moi juste ton refrain, ça va être correct ! »

À propos d’Hélène Dalair

Plusieurs femmes ont joué un rôle majeur dans le parcours de Richard Séguin : sa sœur Marie-Claire, l’écrivaine Louky Bersianik, la poétesse Hélène Dorion et Hélène Dalair, sa chef d’orchestre pendant près d’une décennie. « De voir toute la drive qu’elle pouvait avoir, ç’a parlé à une génération complète de femmes qui sentaient qu’elles pouvaient assumer le rôle de chef. »