Sur son quatrième opus, Salt, Half Moon Run a puisé dans ses inspirations du passé, leur a apporté sa vision actuelle, et a travaillé la matière jusqu’à obtenir un album sur lequel seul l’essentiel subsiste.

Sur la pièce-titre du nouvel album de Half Moon Run, Devon Portielje chante les mots « you’re my salt of the earth » (tu es mon sel de la terre). Le terme d’origine biblique décrit les gens foncièrement bons, qui améliorent la vie des autres. L’image découle de l’idée que le sel est indispensable.

Le sel est aussi, simplement, l’élément de base qui constitue bien des choses. « Quand tu fais bouillir de l’eau de mer, il ne te reste que du sel », illustre Devon, rencontré au parc La Fontaine quelques jours avant la sortie du disque.

Et c’est exactement ce que Half Moon Run a fait : ayant en main une large quantité de matériel, récent et beaucoup plus ancien, le groupe a fait « bouillir » ce chaudron d’idées (« boiled it down »), jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les éléments essentiels, ceux qui se retrouveraient sur l’album.

La symbolique du titre va plus loin encore : « En cuisine comme sur le plan biologique, le sel est fondamental. C’est ce qu’est la musique pour nous. Elle a renforcé notre lien pendant la COVID-19, alors qu’on ne pouvait voir personne d’autre [ils étaient autorisés à se réunir pour travailler] », raconte le meneur du groupe.

C’était essentiel pour nous, psychologiquement, pour traverser cette période. On travaillait sur ces chansons, même si certaines d’entre elles étaient super vieilles et qu’on avait perdu l’étincelle… On a pu raviver cette étincelle et se rendre à la ligne d’arrivée.

Devon Portielje

Il y a ainsi sur Salt des morceaux qui mijotent depuis des années et qui ont été récemment reconsidérés et retravaillés. Hotel in Memphis, Dodge the Rubble ou la chanson-titre, par exemple, ont toutes été extirpées d’une autre époque. Conner Molander, Dylan Phillips et Devon Portielje ont pour habitude de consigner sur un petit enregistreur Tascam toutes leurs sessions et improvisations. Puis, le temps venu, ils réécoutent et puisent dans ces moments du passé pour les mener vers l’avant.

« Pendant le confinement, dit Devon, on a eu l’une de nos périodes les plus prolifiques. On avait le couvre-feu à 20 h et on se rencontrait vers 14 h pour jammer. Et chaque fois, vers 19 h 30, on tombait sur nos meilleures idées. On devait tous rentrer à vélo chez nous, mais on ne pouvait pas s’arrêter. En ayant cette pression et cette limitation, ç’a été très bon pour nous, pour notre créativité. »

Toujours créer ensemble

On trouve donc aussi sur ce nouveau disque de Half Moon Run des pièces toutes récentes, en plus d’anciennes pistes d’idées revisitées. Gigafire ou Goodbye Cali ont été écrites pendant la pandémie. Pour Crawl Back In, qui clôt le disque, Devon raconte avoir trouvé l’inspiration lors d’un voyage du groupe à Istanbul l’an dernier, durant lequel il s’est retiré en solo pour un voyage spirituel dans la jungle (dont on entend d’ailleurs le murmure sur la piste).

« Dès que j’entends cette chanson, ça me ramène là-bas. Elle est à l’intersection de la tristesse et de la beauté, là où il y a de la mélancolie, mais aussi beaucoup d’aspiration. C’est une intersection où je cherche souvent à aller pour continuer de l’explorer. »

Si ce morceau est très personnel pour Devon, qui écrit la plupart des textes, Conner et Dylan sont loin d’être en reste. Tous sont impliqués dans la création, chacun amenant son expertise, ses idées.

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« Le processus d’écriture est différent chaque fois, explique Devon. Mais c’est très collaboratif. C’est bien plus efficace quand on peut tous sentir que la chanson nous appartient et qu’on veut tous la faire avancer. Quand c’est l’idée d’une seule personne, parfois, ça peut être plus difficile pour les autres d’embarquer. »

L’apport du prolifique réalisateur Connor Seidel (Matt Holubowski, Charlotte Cardin) a également été essentiel pour la création de Salt. Pour le groupe, très fusionnel (une sorte de « mariage sans sexe » depuis 10 ans, décrit Devon en riant), il peut être difficile de laisser entrer d’autres personnes et d’autres points de vue dans sa création. Seidel a su parfaitement s’arrimer à leurs idées, note le meneur de Half Moon Run.

« On aime s’autoflageller avec des sessions de 12 heures, lance-t-il, décrivant un processus créatif qui est long et demande souvent une certaine dose d’inconfort. Mais avec Connor, qu’on a d’abord rencontré pour notre chanson sur [le projet collectif] 1969, c’était tellement facile. […] Il travaille très fort, il est capable de rester concentré longtemps, il a une super belle attitude positive. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Devon Portielje, Conner Molander et Dylan Phillips

Le besoin de créer

Alors qu’on lui demande le sentiment qui prédomine à l’approche de la sortie du quatrième album du groupe, Devon avoue être toujours plongé dans le doute. Dans la vie comme dans la création, il est « une personne très sceptique », dit-il. Malgré les retours enthousiastes de l’entourage du groupe à l’écoute de Salt, malgré la popularité infaillible de Half Moon Run auprès de ses admirateurs, il doute.

Mais le besoin de faire de la musique l’emporte forcément. « D’accepter ce niveau d’incertitude et d’ambiguïté, c’est une sorte d’assentiment de qui nous sommes vraiment, affirme le musicien. Ensuite, on peut se dire que l’on va continuer à créer, pour le meilleur et pour le pire. De toute façon, je n’ai pas le choix. C’est tout ce qui compte et je dois l’accepter. »

Même si nos albums étaient vraiment nuls, je continuerais probablement à créer, parce que chaque fois que j’essaie de m’en détourner, j’y suis replongé ! J’en ai besoin.

Devon Portielje

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Face à eux, le public fait comprendre aux membres de Half Moon Run qu’il a également besoin de leur musique, qu’elle lui fait du bien – le concert secret du groupe, tout récemment, durant lequel il a joué ses nouveaux titres, le lui a de nouveau prouvé.

« L’art permet la connexion humaine, permet d’être validé ou compris, conclut Devon. Et si des personnes peuvent retirer ce sentiment de ce que l’on fait, c’est magnifique. »

Salt

Indie rock

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Half Moon Run

The Pepper Gang/BMG