Ceux qui suivent la scène hip-hop québécoise ont certainement vu passer son nom. D’abord, parce que SeinsSucrer, ça surprend, puis, surtout, parce que le rappeur montréalais a lancé une douzaine d’albums dans les deux dernières années et qu’ils sont tous bons.

Avant d’aller plus loin, réglons la question des origines du nom SeinsSucrer. « Il n’y avait pas nécessairement d’intention quand j’ai choisi mon nom, dit d’emblée Jessy Benjamin. J’ai juste ouvert Instagram un jour, puis j’avais envie de troller le monde. À ce moment, je faisais encore du trap, qui est complètement un autre style de musique. Dans cet univers, il y a un peu de trolling. J’ai donc changé mon nom sur Instagram pour SeinsSucrer. Je ne peux même pas dire d’où ça vient, mais je me disais que le monde allait sûrement être intrigué. Rapidement, on a commencé à m’appeler comme ça et je trouvais ça drôle, en plus d’être catchy et un peu clickbait. » Et pourquoi l’épelle-t-il ainsi ? « La raison de “S-e-i-n-s’’, je ne peux pas la divulguer, mais le “e-r”, c’est simplement parce que sur Instagram, on ne peut pas mettre d’accent aigu. » Notre obsession pour la grammaire est satisfaite de cette réponse. Poursuivons.

Une autre particularité de SeinsSucrer est sa voix. « Un jour, j’ai vu Denzel Curry faire un freestyle sur du boom bap, alors que lui aussi faisait du trap à la base. Sa performance m’a fait réaliser que son expérience de rap plus mélodieux l’avantageait et lui permettait une meilleure maîtrise de sa voix. […] Quand j’ai entendu Westside Gunn, jamais ne m’est venue l’idée de vouloir faire comme lui, mais je me suis dit que son ton aigu, je pourrais sûrement bien le faire avec ma voix. Comme Playboi Carti et Young Thug, j’utilisais ce pitch sur du trap, mais je ne l’avais jamais fait sur du boom bap », souligne le Montréalais de 27 ans.

J’ai enregistré l’album Bourgogne, mais j’ai fait attention de ne pas tout faire comme West, parce que c’est vraiment important pour moi d’être authentique. C’est l’une des valeurs très importantes du hip-hop.

SeinsSucrer

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Au-delà de la voix, il y a aussi le personnage – qui est d’autant plus singulier lorsqu’on rencontre Jessy en personne et constate que les deux ont peu en commun. « L’inspiration vient de mon chum Don Bruce de La Fourmillière. C’est un genre de preacher qui fait des monologues très théâtraux. »

Ses beats et ceux des autres

Entre ses changements de style, SeinsSucrer a déposé le micro un instant pour se consacrer à la production. Des amis l’ont guidé et il a suivi une formation chez Musitechnic en 2018. Il a donc réalisé entièrement la plupart de ses premiers albums, en plus d’en assurer lui-même la distribution sur les diverses plateformes de musique en continu.

Sa notoriété grandissante lui a permis d’obtenir les beats de différents producteurs d’ici, tels Stack Moolah, Nomstks, Dice B et Mike Shabb. « Ce que je trouve le plus cool de collaborer est d’avoir une énergie différente sur un projet artistique », lance le MC.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

GenericTM et SeinsSucrer

Le Vendredi saint – il n’y a pas de hasard –, SeinsSucrer a ajouté Doute raisonnable à sa discographie. Les 11 pièces ont été produites par GenericTM, qui a entre autres travaillé avec Eman et KNLO, d’Alaclair Ensemble. Il s’agit d’une première collaboration pour le duo, qui a élaboré l’album pendant environ six mois.

« Je l’ai connu quand il faisait encore le style baby voice dans une vidéo Basement Session filmée pendant la pandémie, raconte Jean-Sébastien Perron, alias GenericTM. Plus tard, j’ai vu qu’il avait changé de genre. J’en ai parlé à Greg [Beaudin] et il m’a dit que je devais absolument le contacter pour qu’il écoute ma musique. »

Du moment qu’il a reçu une première sélection de beats, SeinsSucrer n’a pas perdu de temps avant d’enregistrer, car, sans qu’il puisse trop l’expliquer, l’inspiration lui vient toujours rapidement.

Je suis peut-être hyperactif un peu, mais seulement dans ma tête. […] Quand je reçois un pack de beats, je les écoute et ensuite je veux juste rapper live. Je lâche ma job [de chauffeur et livreur] et j’enregistre 17 tracks en une semaine.

SeinsSucrer

« Seins est tellement spontané, indique GenericTM. Après lui avoir envoyé des beats, je l’ai laissé aller. J’étais en vacances et il m’envoyait plein d’enregistrements. Au retour, on a changé quelques trucs et on a structuré l’ensemble. On voulait qu’il y ait des sections marquées, avec un refrain, par exemple. Ce sont plus des chansons structurées, ce qu’il a moins fait sur ses autres albums. »

La seule certitude est le doute

Même sans posséder une grande connaissance du hip-hop, on peut remarquer que Doute raisonnable est une traduction de Reasonable Doubt, premier album de Jay-Z. « C’est un album que j’aime énormément, confirme SeinsSucrer. Mais l’expression en soi représente beaucoup de choses. Le doute peut te mener à une certaine confiance, puis la confiance n’est pas nécessairement l’absence de doute. C’est peut-être le contrôle que tu as sur le doute. »

« L’esthétique sonore me fait penser à Reasonable Doubt de Jay-Z parce que c’est comme un film, ajoute GenericTM. Il y a aussi des éléments nostalgiques et funk dans la musique. L’aspect créatif du doute, comme la remise en question dans notre façon de faire de l’art, est une autre facette. Puis, il y a littéralement le concept de doute raisonnable en justice qui a inspiré le design de l’album. »

Doute raisonnable

Rap

Doute raisonnable

SeinsSucrer et GenericTM

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