Stéphane Papillon a toujours roulé à tombeau ouvert, mais il y a un an, le rockeur a failli finir dans un cercueil. Il panse ses plaies, en mode country, sur On va sauver ce qui reste.

En février 2022, Stéphane Papillon se réveille un beau matin avec l’ambition ferme, dit-il en employant une de ses hyperboles absurdes dont il parsème toutes ses conversations, de « perdre 100 livres en un après-midi ». Plus habitué des bars où l’on se barbouille la lucidité que des barres que l’on soulève, le chanteur s’essaie quand même à pousser fort. Trop fort. « Et ç’a pété », dit-il en pointant sa caboche. « Je l’ai senti en tabarnac. »

L’orgueil étant le muscle le plus fort du corps d’un homme, Papi (comme le surnomment ses amis) s’obstinera toute la journée à se convaincre qu’il ne souffre que d’un banal mal de tête. Sa douleur n’avait pourtant rien de banal. On lui annonce, une fois à l’hôpital, qu’une craniotomie s’impose. Diagnostic implacable : rupture d’anévrisme.

C’est là qu’on m’a expliqué qu’on allait m’enlever le top de la tête, pour arrêter la pression sanguine qui était en train de tuer mon cerveau, tellement l’hémorragie était forte. Et moi de répondre : ‟Écoutez, vous avez l’air plus au courant que moi.”

Stéphane Papillon

Jamais du genre à faire les choses à moitié, le pilier de la défunte taverne L’Inspecteur Épingle ajoutera à son palmarès un AVC et, une fois plongé dans un coma artificiel, un infarctus. Tour du chapeau.

Payer cher son arrogance

« Oui, j’ai payé cher mon arrogance à l’âge où je pensais me détendre », résume-t-il dans Pasteur, le gospel païen tiré de son magnifique quatrième album, le premier signé du pseudo Pasteur Papillon, On va sauver ce qui reste.

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Payé cher son arrogance ? C’est que, comme il le dit lui-même : dans le monde des excès, Papillon est un modèle de succès. « La poudre, ç’a été la relation la plus stable de toute ma vie », lance celui dont le premier disque, Mal élevé, date de 2003. Un album dont une des tounes les plus entêtantes s’intitulait – ça ne s’invente pas – As-tu peur de la mort ? « À 16 ans, je n’en suis pas revenu d’à quel point c’était bien fait ce petit produit-là : je pouvais boire mille fois plus, mille fois plus longtemps. S’il vous plaît, envoyez une carte de remerciements à Pablo Escobar ! »

Des regrets ? « Quand tu mènes une vie de fête, tu sais très bien que tu te fais un grand mal », répond celui qui est aussi guitariste chez le groupe Drogue, « mais pour moi, c’était au nom du fun, pour que le party n’arrête jamais. Ça n’avait rien de sombre ». Pas encore, du moins.

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Se guérir grâce à la musique

« Là où j’ai vraiment cassé, c’est quand j’ai compris que j’étais paralysé de la gauche : face, main, toute. » Écrasé dans le divan du Studio Mystic, Stéphane Papillon met un instant de côté son barrage de formules truculentes et laisse entrevoir la fêlure derrière sa façade d’éternel ado qui cherche à faire rire.

Dans les semaines d’avant, j’étais trop stone sur la morphine pour me rendre compte de grand-chose. Mais comprendre que j’étais paralysé, ça, c’est venu me chercher profond. Là, je pleurais. Là, j’avais de la peine, surtout que les exercices d’ergo, mettre le carré dans le carré, c’est ben infantilisant.

Stéphane Papillon

Qui vit par l’épée périra par l’épée ? L’inverse est aussi vrai : alors que c’est le rock’n’roll qui l’avait mené dans ce lit d’hôpital, c’est la guitare qui l’aidera à s’en extirper. Grâce à la six cordes que ses soignants lui permettent de garder dans sa chambre, le miraculé retrouvera peu à peu sa mobilité, en même temps que son envie d’écrire des chansons.

Mais si l’ancien Papillon coquin était une sorte de mélange entre Iggy Pop et Redd Foxx, qui se brassait les foufounes et échafaudait ses chansons sur des jokes de fesses, le grand gaillard de 54 ans se tourne maintenant vers le country hors-la-loi de ses héros Steve Earle et Lucinda Williams.

PHOTO FOURNIE PAR STÉPHANE PAPILLON

Pasteur Papillon en studio avec Tommy Stinson

Healing by music, se guérir grâce à la musique : tel a été en studio le mantra de son réalisateur, Tommy Stinson. Le bassiste du légendaire groupe américain The Replacements (et membre de l’incarnation Chinese Democracy de Guns N’ Roses) était bien placé pour compatir avec Papi, ayant lui aussi été forcé par son corps à modérer ses transports.

« Et comme ça me fait trop mal quand je crie, je n’ai pas eu le choix d’apprendre à passer de l’émotion sans hurler, à raconter des histoires », explique celui qui n’a pas entièrement mis de côté les tournures qui font sourire, mais qui signe aussi quelques chansons à pleurer dans sa bière, dont J’ai perdu beaucoup, une lettre adressée à ses deux filles adolescentes, avec qui il tente de rétablir la communication. La vulnérabilité est rarement aussi bouleversante que chez ceux qui l’embrassent pour la première fois.

Ça sonne comme un gag, mais c’est la vérité : Stéphane Papillon habite aujourd’hui à Cap-Santé (!), dans la maison voisine de celle où il a grandi. « On a tous nos rêves : quand j’avais 16, 17 ans, il fallait vivre et mourir vite, se souvient-il. Mais là, ce que je veux, c’est devenir Willie Nelson et finir par ressembler à une patate chip. Je veux mourir assis sur mon ampli, à 92 ans. »

On va sauver ce qui reste

Country rock

On va sauver ce qui reste

Pasteur Papillon

Big Fat Truck