Ces albums sont passés sous notre radar au moment de leur sortie. Mais au fil des écoutes, ils ont pris une place indélogeable entre nos oreilles. Nos critiques remettent en lumière six disques qu'ils avaient injustement ignorés parmi le flot de nouveautés... et un dernier dont on a de la difficulté à se défaire.
Gemini Rights, de Steve Lacy
Le deuxième disque du prodige Steve Lacy m’est tombé dessus bien après sa parution. Un ami m’a montré le superbe vidéoclip de la pièce Sunshine, avec la chanteuse Fousheé, et j’ai tout de suite voulu en savoir plus. Le R&B, le funk et le rock indie s’amalgament ici à un côté psychédélique, expérimental, foncièrement moderne. Lacy incarne l’avenir du R&B. Son disque n’obéit à aucune règle, il est foisonnant d’originalité, tout en conservant une agréable accessibilité. L’auteur-compositeur-interprète assume tout ce qu’il fait, on le sent en contrôle de sa création, avec une direction claire, même si l’œuvre elle-même respire le laisser-aller, la légèreté. À découvrir absolument.
Marissa Groguhé, La Presse
Construire une table pour y mettre notre poing ensemble, de Bolduc tout croche
Lancé fin mars, ce quatrième album de Bolduc tout croche est le genre d’œuvre qui s’insinue dans les cœurs et les oreilles dès qu’on prend le temps de l’écouter – ce que nous avons fini par faire avec quelques mois de retard ! Avec son country alternatif – pensez plus Alex Burger que Paul Daraîche – et littéraire, contemporain mais plongé dans ses racines, le trio mené par Simon Bolduc a une signature profondément originale. L’album réalisé par Navet Confit, Éric Goulet et Émilie Proulx est aussi dépouillé que planant et laisse toute la place à la poésie vernaculaire des textes. « J’t’apprends les bases de Bakounine/J’attends qu’tu m’présentes ta Micheline/On ira se perdre au musée/On écoutera du country. » Franchement, ç’aurait été dommage de passer à côté.
Josée Lapointe, La Presse
Bronco, d’Orville Peck
On ne peut pas avoir des oreilles tout le tour de la tête… On m’a fait découvrir Orville Peck en août, des mois après la sortie de son album Bronco et quelques jours seulement après son passage au Corona. Derrière son masque à franges, le cowboy canadien déploie un chant capable de graves à la Johnny Cash, mais aussi d’un lyrisme étonnant apparemment inspiré de son amour des comédies musicales. Imaginez le panache de Rufus Wainwright, mais dans des atmosphères où le cinéma énigmatique de David Lynch (un côté lumineux en plus) rencontre le country-folk nocturne des années 1950, et vous aurez une idée de l’univers qu’Orville Peck développe. Bronco a été célébré presque partout, ce qui rend d’autant plus gênant le fait d’être passé à côté de ses chansons sensibles et raffinées si longtemps.
Alexandre Vigneault, La Presse
Plywood Joe et les mangeux de baloni (vol. 1), de Plywood Joe
« Y fait toujours beau assis sur mon skidoo/de midi à minuit, pour m’éloigner de mon calvaire », rugit Plywood Joe, l’alter ego country de l’auteur-compositeur acadien Joey Robin Haché. On pourrait en dire autant de ses refrains, au cœur desquels il fait toujours beau, même quand tout va mal. Florilège de portraits comico-attendris d’hommes qui gagnent leur pitance en se salissant les mains, ce premier volume enregistré en compagnie d’un groupe baptisé Les mangeux de baloni est moins parodique que sa pochette le suggère, malgré la singulière truculence des histoires racontées dans Skidoo (la chanson sur les motoneiges que John Mellencamp n’a jamais daigné écrire), Royal Flush (la chanson sur les problèmes financiers d’un gars qui construit des maisons que Weezer n’a jamais daigné écrire) et Jackhammer (la chanson sur les dangers de l’abus de caféine que Stephen Faulkner n’a jamais daigné écrire). En célébrant la beauté rugueuse d’une série de chaleureux ouvriers, le gars de Nigadoo, dans le nord du Nouveau-Brunswick, parle en réalité des sacrifices que nous sommes tous prêts à faire afin de goûter, le soir ou le week-end venu, à quelques heures de félicité.
Dominic Tardif, La Presse
Personal Best, de TRAAMS
Le trio londonien TRAAMS s’est fait connaître il y a une dizaine d’années en offrant des albums et des maxis calqués sur la musique de Sonic Youth, Pavement, Television et même Kraftwerk. Puis, après Modern Dancing, sorti en 2015… plus rien. Une longue pause salvatrice pour Adam Stock, Stuart Hopkins et Leigh Padley, qui ont repris les instruments en 2022 et nous offrent ce Personal Best qu’on n’attendait plus. On y découvre des chansons qui mêlent rock progressif, post punk et slowcore. La construction du mur de son est magistrale, les lignes de basse sont fortes et grasses, les crescendos sont nombreux, les guitares, distorsionnées. Personal Best signe avec brio la renaissance d’un trio qu’on espère maintenant être de notre paysage sonore pour les années futures.
Philippe Beauchemin, La Presse
Where Myth Becomes Memory, de Rolo Tomassi
Indéfinissable, Rolo Tomassi est l’expression de la liberté créatrice. Le quintette britannique ne donne pourtant pas dans l’éclectisme à tout crin, il fait simplement siennes ses influences shoegaze, métal, progressif et mathcore pour tisser un univers musical fascinant. L’auditeur distrait va bien sûr sursauter en entendant les différents registres vocaux de la chanteuse Eva Korman, qui passe librement de douces mélodies aériennes aux cris sauvages et gutturaux ; mais une écoute attentive de l’album, paru en février, montre à quel point le groupe maîtrise l’art de créer des ambiances à la fois lourdes, intenses, planantes et enivrantes. Par souci d’intégrité, le groupe est étonnamment demeuré un projet à temps partiel, même s’il est actif depuis près de 15 ans. « Je n’ai jamais envisagé de vivre de la musique que je compose, a révélé candidement le claviériste James Spence au Guardian. Si c’était l’objectif, on serait un groupe qui sonnerait bien différemment. »
Pierre-Marc Durivage, La Presse
Consultez la page Bandcamp de l'albumL'album qu'on a de la difficulté à oublier : WE, d'Arcade Fire
WE, d’Arcade Fire, est l’album que bien des mélomanes ont voulu oublier mais qui ressurgit quand vient le temps de faire un bilan de la musique la plus vibrante de l’année. J’étais encore sous le buzz du spectacle au festival Osheaga quand le webzine Pitchfork a publié les témoignages de personnes dénonçant la façon dont Win Butler s’est comporté sexuellement avec elles. Comme bien des gens qui suivent Arcade Fire depuis ses débuts, j’ai boycotté le groupe tout l’automne mais, depuis que j’ai raté son spectacle au Centre Bell, je suis déchirée : Arcade Fire peut-il vraiment disparaître de ma discothèque et même disparaître… point ?
Émilie Côté, La Presse