Après une (autre) année riche en coups de foudre musicaux, voici les chansons qui ont passé l’épreuve du temps dans les écouteurs de nos journalistes.

Tastes Just Like It Costs, de MJ Lenderman

Imaginez que Pavement ait un jour tenté d’enregistrer un hommage à Neil Young ou à The Band. Avec Boat Songs, MJ Lenderman signe un des meilleurs albums de guitares de l’année, un des meilleurs albums de l’année, point. Du country rock dégingandé, passé au tamis d’une connaissance intime de l’histoire du rock indépendant américain, en parfait équilibre entre l’ensorcelante nonchalance d’un traîne-savates et l’impeccable artisanat chansonnier d’un des plus grands auteurs-compositeurs de sa génération.

IMAGE FOURNIE PAR DEAR LIFE RECORDS

Boat Songs

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Le fou dans l’arbre, de Jonathan Personne

La production du Neil Young – encore lui ! – des 10 dernières années est à ce point inégale que chaque chanson effleurant un tant soit peu la grâce de ses belles années doit être reçue comme un cadeau, ce qui fut le cas de Chevrolet, une équipée de 15 minutes tirée de son 42e disque, World Record. La meilleure chanson de Neil Young et Crazy Horse de l’année n’est cependant pas l’œuvre de Neil Young et Crazy Horse, mais bien de Jonathan Personne, que l’on tient peut-être pour acquis tellement chacun de ses trois albums est une source fiable d’exquises références brillamment décantées.

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Jonathan Personne

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Little Things, de Big Thief

Il y a une joliesse, presque une préciosité, dans certaines chansons de Big Thief qui, je l’avoue, finit parfois par m’agresser. La bonne nouvelle ? Il existe en Big Thief plusieurs Big Thief, surtout sur Dragon New Warm Mountain I Believe in You, foisonnant album double, à travers lequel le groupe préféré des cafés de troisième vague fait aussi honneur à sa facette plus expérimentale. Exemple probant : le solo de Buck Meek dans Little Things, qui est à la guitare électrique ce que le dripping est à la peinture.

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Dragon New Warm Mountain I Believe In You

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Julia, de NOBRO

Vider ses REER pour assister au Centre Bell à la renaissance de Blink-182 ? À quoi bon, quand on peut aller voir NOBRO pour une poignée de dollars et vraiment plus de fun. Non satisfaites de donner un des meilleurs shows rock en ville (il faut admirer un solo de bongos de Lisandre Bourdages une fois dans sa vie), les quatre reines du punk local balancent sur disque des refrains impossibles à se déloger de l’esprit. Dommage que les compilations Big Shiny Tunes n’existent plus ; elles en seraient les héroïnes.

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Live Your Truth Shred Some Gnar

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Ici-bas, de Rosie Valland

Avec Emmanuelle, Rosie Valland se réincarnait en chanteuse pop, le genre de métamorphose casse-gueule qui échoue la plupart du temps, mais pas ici. Pourquoi ? Parce que la musicienne, après deux albums à classer dans la section folk ou rock, semble moins enfiler un masque qu’en enlever un. Elle n’arrive donc pas sur cette nouvelle planète en touriste, mais avec une fine maîtrise des rouages d’un refrain velcro. La réinvention la plus réussie de 2022.

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Emmanuelle

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Le paon impossible, de Lysandre

Alexandre Martel réalisait en 2021 trois des meilleurs disques de l’année (ceux d’Alex Burger, de Lou-Adriane Cassidy et de LUMIÈRE). Plus modeste, il s’est satisfait en 2022 de la réalisation du fabuleux album de son alter ego, Anatole, ainsi que de celui de Lysandre, fille spirituelle de la sorcière qu’est Stevie Nicks et de la mélodiste raffinée qu’est Diane Tell. Bien que la pianiste rende hommage sur Sans oublier à la poète Sylvia Plath, elle s’inscrit davantage dans la lignée d’une Virginia Woolf, au sens où son féminisme est d’abord une manière de défendre son droit de consacrer sa vie à créer et à rêver.

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Sans oublier

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Very Online Guy, d’Alvvays

Mais quel irrésistible subterfuge que celui qui consiste à sublimer une mélodie immaculée en la terrant sous plusieurs épaisseurs d’écho et de distorsion. Encore faut-il les avoir, les mélodies immaculées, ce qui est indéniablement le cas du groupe torontois Alvvays. Sur Blue Rev, son troisième album, les guitares sont comme un lit de duvet dans lequel s’étendre et la voix liquide de Molly Rankin est le plus grisant des analgésiques.

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Blue Rev

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Obsolète, de Vulgaires Machins

Une ou deux chansons capables de rivaliser avec les plus grands disques d’un groupe légendaire, voilà tout ce que je demande à un album retour. Disruption, celui de Vulgaires Machins, n’en contient pas qu’une ou deux, mais au moins cinq ou six, dont Obsolète, un de ces textes dans lequel plutôt que de jeter l’anathème, Guillaume Beauregard ausculte les déchirures causées en lui par la violence d’une époque qui utilise les mots « compassion » et « solidarité » à tout vent, mais qui semble en ignorer la signification.

IMAGE FOURNIE PAR COSTUME RECORDS

Disruption

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