Dix ans plus tard, et l'imaginaire n'a pas encore rattrapé le 11 septembre 2001. «Je ne crois pas que l'art puisse faire ''compétition'' avec quelque chose comme le 11 septembre», déclare Jess Walter, dont le roman post-11 septembre The Zero a été finaliste pour le National Book Award américain en 2006.

«Que pourrait-il y avoir de plus clair que nos images de cette journée, que nous les ayons vues en personne ou à la télé? Qui pourrait faire un film aussi clair que l'image que nous voyons lorsque nous fermons nos yeux: la tour en feu, le ciel bleu, le deuxième avion s'approchant de la seconde tour?»

Une pléiade de livres, de films et de pièces de théâtre ont narré et analysé les attaques terroristes, les causes, et les effets émotionnels, culturels et politiques. Les réponses ont évolué de la douce rancoeur de la pièce d'Anne Nelson The Guys à des thrillers internationaux comme Babel, au roman introspectif Netherland de Joseph O'Neill. Mais aucun personnage fictif ou d'histoire inventée ne s'est imprimée dans nos esprits comme les événements eux-mêmes. Aucun film n'a égalé la puissance, et l'horreur, ou les extraits vidéo de l'avion frappant la tour sud du World Trade Center, ou l'inoubliable photo de l'Associated Press montrant un homme tombant de l'un des gratte-ciel.

Le 11 septembre a réinventé la peur. Depuis les jours des sermons puritains, l'esprit américain a inventé un dieu vengeur, les fantômes des péchés passés, l'apocalypse nucléaire, les espions de la Guerre froide, les assassins solitaires et les invasions spatiales. Les attaques représentaient un autre genre de cauchemar: planifiées à des milliers de kilomètres de distance, mises sur pied non pas par un chef d'État, mais par un exilé fanatique et accomplies non pas par une armée professionnelle, mais par une bande disparate de kamikazes.

Nos terreurs sont désormais globales, comme dans Shalimar the Clown de Salman Rushdie, un roman à propos d'un funambule devenu tueur et lâché partout de la Californie au Cachemire. Dans «Syriana», mettant en vedette George Clooney et Matt Damon, des histoires parallèles rassemblent un consultant en énergie à Genève, un agent de la CIA en Iran et des travailleurs migrants au chômage au Pakistan. Babel, avec une distribution comprenant Brad Pitt et Cate Blanchett, joint les destins d'un gardien de chèvres dans le désert marocain à une femme américaine de San Diego.

«Depuis le 11 septembre, il y a eu cette paranoïa concernant le danger provenant de partout», explique l'artiste Karen Finley, qui reprend Make Love, un regard sur New York post-11 septembre, avec Mme Finley dans le rôle de Liza Minnelli. «Cela ramène l'esprit à cette époque de l'enfance où vous avez peur du noir, des monstres sous votre lit.»

«Les Américains avaient depuis longtemps l'impression d'habiter une forteresse à l'abri et le 11 septembre a marqué la fin du sentiment américain aveugle d'avoir gagné la Guerre froide», avance Jonathan Galassi, président et éditeur de Farra, Strauss & Giroux, qui vient de publier The Submission, d'Amy Waldman, un livre à propos d'un Pakistano-américain remportant un concours pour concevoir un mémorial pour le 11 septembre. «Et soudainement nous avons plusieurs ennemis, plusieurs types de problèmes qui sont pires d'une certaine façon, bien pires.»

Pénétrer dans l'esprit de quelqu'un d'autre est normal pour les auteurs de fiction, mais certains ont essayé de s'immiscer dans les pensées d'un extrémiste. The Last Days of Mohammed Atta, de Martin Amis, suit la fin de l'existence de l'un des pirates de l'air du 11 septembre. Terrorist, de John Updike, débute avec un adolescent musulman luttant contre les tentations de l'Ouest. «Ces démons veulent me retirer mon Dieu. Toute la journée, à l'école secondaire Central, des filles se promènent et exposent leurs corps à la peau douce et leurs cheveux envoûtants.»

The Submission, d'Amy Waldman, est l'histoire de l'architecte Mohammad Khan, un musulman non-pratiquant durement accusé d'être un sympathisant terroriste avec un plan secret pour construire un lieu de culte. L'auteure affirme qu'elle a lu des livres sur les terroristes, incluant des pages du livre de M. Updike, et a choisi une approche différente.

«De certains côtés, je sentais que j'écrivais un peu en réaction à des livres comme ceux de M. Updike. Il y avait beaucoup d'intérêt à pénétrer dans l'esprit des terroristes et beaucoup moins d'intérêt à comprendre les musulmans qui n'en étaient pas», souligne Mme Waldman. «Je voulais écrire à propos de quelqu'un comme Mohammad Khan, né aux États-Unis et élevé ici, de façon laïque.»

L'auteure, qui a déjà travaillé au New York Times, dit avoir pensé pour la première fois à son livre en 2003 et a commencé à travailler sur celui-ci quatre ans plus tard. La réalité l'a devancée lorsqu'en 2010 des plans pour un centre communautaire islamique près du World Trade Center a mené au genre de débats publics auxquels elle pensait en privé.

«C'était très étrange», dit-elle. «Des phrases écrites dans le livre se retrouvaient soudainement dans les journaux, même si les circonstances n'étaient pas tout à fait les mêmes. On aurait dit que mon roman était devenu la réalité.»