Le recueil Les secrets de l'origami révèle d'abord des amours déçues, des poitrines brisées et des extraits d'intimité (trop) éphémères. Mais en approfondissant l'oeuvre de Gabrielle Boulianne-Tremblay - qui a joué dans le film Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau -, on comprend que les mots sont pour elle un moyen de tisser des liens entre elle et le reste du monde.

Révélée au cinéma en 2015 dans le film de Mathieu Denis et Simon Lavoie, qui lui a valu une sélection aux prix Écrans canadiens (une première pour une femme trans), la comédienne écrit depuis qu'elle a 10 ans. « Je produisais un roman par année, de petites histoires enfantines, se souvient-elle. Plus jeune, je ne me sentais jamais à ma place. J'avais des amis, mais j'étais toujours la plus effacée de la gang. L'écriture a été cathartique. Ça me permettait de toucher à ma vérité. »

Un concept qu'elle avait pourtant du mal à verbaliser. « Quand j'ai commencé à me questionner sur mon identité, lorsque je vivais à Saint-Siméon, je n'avais pas accès aux informations sur la transidentité. J'étais différente, mais je ne pouvais pas mettre des mots là-dessus. »

Puis, elle a eu une révélation en décidant d'écrire des chansons en anglais avec le genre neutre. « Je pouvais passer mes émotions sans que les gens se posent de questions. Si j'écrivais au masculin, c'était comme de me voir avec une barbe dans la face. Je trouvais ça dégueulasse. J'avais l'impression de jouer quelqu'un. » Lorsqu'elle a déménagé à Québec et découvert la réalité trans, elle a commencé à écrire des poèmes au féminin. « Je créais des personnages en me mettant dans la peau de plusieurs femmes. Et quand j'ai commencé ma transition, ç'a été la liberté totale : je pouvais écrire sur moi, mes expériences et ma façon de voir les choses en lien avec mon coeur. » L'écriture est depuis longtemps son lien avec la réalité, son port d'attache. « J'écris pour ne pas mourir. Lorsque je vais décéder, mes écrits, tout comme mes films, vont rester vivants. L'art est immortel. »

Le petit cahier rouge

Pour Gabrielle Boulianne-Tremblay, l'art est également quotidien, comme en témoigne le petit cahier rouge usé qu'elle trimballe partout et dans lequel elle note ses pensées intimes. Une habitude suggérée par sa psychothérapeute, afin de l'aider à vivre une période d'anxiété généralisée, pendant laquelle l'auteure voyait un détour au dépanneur comme un défi. 

« Pendant ma transition, c'était très difficile d'aller en public. J'étais à la frontière entre deux vies. J'ai perdu du monde que j'aimais, parce que je suis une femme. Je me suis donc réfugiée dans l'écriture pour parler de ce que je vivais. » - Gabrielle Boulianne-Tremblay

Si la vie nourrit son journal, son journal nourrit également sa poésie. Il y a trois ans, elle a publié à compte d'auteur un premier recueil au titre évocateur, Le ventre des volcans. « Depuis des années, il y avait quelque chose de retenu en moi. Puis, ça a jailli : ma liberté, ma féminité. »

Son deuxième livre n'aborde pratiquement pas la transidentité, mais explore sans retenue les relations dysfonctionnelles et la désillusion d'une femme qui se dit amoureuse de tout le monde. « Je suis une passionnée qui ne fait pas les choses à moitié, comme le film dans lequel j'ai joué. Je me fais souvent des idées sur une relation qui vient de naître, comme une page blanche pré-origami, avant de réaliser que ça ne fonctionne pas. »

Le coeur amoché par les déceptions, elle utilise les mots pour ausculter ses cicatrices, obligée de constater que plusieurs de ses blessures ont été causées par l'incapacité des gens à supporter l'intimité plus qu'une nuit. « Je me demande souvent si c'est ma faute, si c'est parce que je suis trans ou trop intense, pas assez ceci ou cela. Je deviens vite intime avec les gens. Je me permets d'être vulnérable avec quelqu'un que je connais à peine. C'est de cette façon que je peux vivre ma vérité. Mais des fois, ça fait peur à certaines personnes... »

Plongeon dans l'autofiction

Même si elle se questionne parfois sur les effets de sa transparence, l'auteure refuse d'étouffer ses sentiments et de cacher sa vérité. Elle prévoit d'ailleurs franchir quelques pas de plus vers la nudité intérieure en écrivant un roman autofictif. « Je veux plonger au fond de moi et me rendre encore plus vulnérable. Je vais retourner dans mon enfance, mon adolescence et ma vie d'adulte. »

Un exercice qu'elle prévoit effectuer en explorant ses relations interpersonnelles. « Quand on se concentre là-dessus, on trouve principalement des informations sur soi. C'est comme ça que je vais mieux me connaître. Je veux piger beaucoup dans mes journaux pour écrire au "je", à travers un personnage. Je veux écrire sans me ménager. »

Les secrets de l'origami

Gabrielle Boulianne-Tremblay

Del Busso Éditeur

72 pages

Les secrets de l'origami