Après le succès phénoménal de son roman La femme qui fuit, Anaïs Barbeau-Lavalette pose de nouveau la question de la transmission dans Nos héroïnes, un beau livre pour enfants qui rappelle à notre mémoire les femmes qui ont transformé le Québec.

Nos héroïnes est un «bel accident» selon son auteure, Anaïs Barbeau-Lavalette. Ce beau livre pour enfants est né lorsqu'on lui a demandé d'écrire un discours pour la dernière fête nationale, sur le thème de «Nos héros». «Au départ, j'ai hésité et je me suis vraiment demandé ce que je pouvais apporter à cette tribune, dit-elle. La seule raison que j'avais d'être là était de m'adresser aux filles du Québec. J'étais flabergastée par le manque de modèles et d'héroïnes au féminin. Je me suis rendu compte de mon ignorance aussi.»

Impossible de ne pas faire de lien avec son roman La femme qui fuit qui, depuis 2015, est un véritable phénomène de l'édition, sans cesse en réimpression. Elle s'y interrogeait sur l'héritage de sa grand-mère, la poétesse Suzanne Meloche, qui avait quitté sa famille pour accomplir sa destinée. «Honnêtement, je n'aurais jamais cru que la suite de ce livre serait un livre pour enfants. Il s'est imposé à moi instinctivement. Le roman se terminait sur ce que moi, j'ai reçu de cette femme-là, de son ardent désir de liberté, de la rupture des liens, indique l'auteure. Au quotidien, je travaille avec mon homme ce désir d'aller au bout de nos rêves, tout en cultivant l'idée d'être libres ensemble, et en gardant les racines. C'est super contemporain comme défi, on essaie d'inventer un nouvel équilibre. Pourquoi c'est si difficile?»

«J'ai vraiment senti un manque flagrant de modèles de femmes accomplies sans que cet accomplissement soit fait dans la violence, la rupture. Et souvent, les grandes figures de révolte, quand ce ne sont pas des hommes, c'est soit des Saintes Vierges, soit des femmes fatales, mais rarement des femmes normales, des mères, des amoureuses, des femmes auxquelles on peut s'identifier.»

Et il est important d'avoir des modèles dès le plus jeune âge, pour la suite du monde. «C'est une période dure pour les parents en ce moment, c'est difficile de parler de l'avenir, dit celle qui a signé le Pacte pour la transition écologique et qui défend ardemment l'environnement. Ce projet est une bouée pour moi, comme maman. Il y a une volonté politique avec ce livre-là. Un désir de tirer vers le haut, de laisser une empreinte, d'inspirer les enfants.»

Diversité des passions

Dans Nos héroïnes, superbement illustré par Mathilde Cinq-Mars qui s'est inspirée la plupart du temps du véritable physique des femmes selon leurs photos, Anaïs Barbeau-Lavalette nous propose une quarantaine de portraits de celles qui ont façonné le Québec à leur manière. Les textes, loin d'être didactiques, décrivent plus des personnalités fortes, où l'on sent un désir d'«empowerment» de ces figures souvent méconnues, malheureusement. «J'avais envie de les rendre vivantes, de créer des rencontres, pas juste pour les enfants, mais aussi pour les parents qui lisent, explique-t-elle. Je voulais de plus un éventail de passions et de destins qui embrasse large. Nous avons des incontournables, des militantes pour le droit de vote des femmes, mais il y a aussi la première cycliste, une botaniste, etc. Mon chapeau de parent, puisque je suis mère de trois enfants, a résonné fort. J'ai le goût de leur raconter le monde de façon lumineuse, et ça devient de plus en plus difficile de nos jours. L'après-#metoo a eu des répercussions positives sur la façon dont on raconte les femmes, mais en même temps, c'est beaucoup des histoires de victimes qui se relèvent, qui osent enfin parler. La suite de ça, c'est de se réapproprier la mémoire, se rappeler qu'on a des héroïnes. De raconter des femmes qui ont kické dans les murs qui les empêchaient d'avancer, de parler de ce coup de pied donné plutôt que de ces murs. C'est un moment adéquat pour se réapproprier ça.»

Et pour le transmettre, autant aux filles qu'aux garçons, ce qu'Anaïs Barbeau-Lavalette a pu vérifier elle-même auprès de son garçon de 6 ans, quand elle lui a lu Nos héroïnes. «Après, il s'est mis à écrire "Il était une fois quatre femmes...". Tout à coup, ça peut être le début d'une nouvelle histoire dans l'imaginaire d'un petit garçon. C'est fou à quel point les enfants sont des éponges, et c'est comme si on les ménageait alors qu'ils peuvent se nourrir de tout ça. Ils peuvent jouer autant à Frida Kahlo qu'à la Reine des neiges ou à Spider-Man. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des modèles, et c'est à nous de semer la suite.»

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Anaïs Barbeau-Lavalette sera au Salon du livre samedi, de 13 h à 14 h, au kiosque 147.

Nos héroïnes. Anaïs Barbeau-Lavalette. Marchand de feuilles. 93 pages.

Image fournie par Marchand de feuilles

Nos héroïnes, d'Anaïs Barbeau-Lavalette