Son premier album graphique Titan pourrait remporter jusqu'à trois prix ce printemps - le Prix des libraires du Québec, le prix Bédélys et le Prix BD des collégiens. La Presse a rencontré son auteur trentenaire, François Vigneault. Un Américain... au nom québécois.

Première surprise: on apprend que l'album de François Vigneault est traduit de l'anglais par Alexandre Fontaine Rousseau... Comment est-ce possible? Le mystère persiste jusqu'à la rencontre, en personne, du bédéiste au nom québécois et au teint mat qui nous parle en français avec un accent américain...

Vigneault est le nom de sa mère, native de la région de Québec. Son père, haïtien, aujourd'hui décédé, parlait lui aussi français. Mais ses parents, qui se sont connus aux États-Unis, sont passés à l'anglais. François est né à New York, mais il a grandi sur la côte Ouest, à San Diego, puis à San Francisco.

L'illustrateur et bédéiste autodidacte est arrivé à Montréal il y a trois ans. Outre la présence d'un oncle, il ne connaissait personne ici.

«Je venais de me séparer de ma copine, de quitter un emploi, je me suis dit que ça me ferait du bien de passer trois mois au Québec, j'avais besoin de renouer avec mes racines, même si je ne suis venu ici que deux fois dans ma vie», nous dit François Vigneault dans un français en reconstruction.

Trente mois plus tard, il est toujours ici. Il habite le Plateau-Mont-Royal et il a rencontré une fille originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Première oeuvre mature

À la lecture de son album Titan, on s'étonne qu'il s'agisse d'une première oeuvre, vu la profondeur du scénario, la maturité du propos.

Recul en arrière. Dès l'âge de 19 ans, François Vigneault s'est retrouvé sur le marché du travail. Pendant 10 ans, il a travaillé comme graphiste, illustrateur, comme gérant d'un magasin de matériel d'artiste également. Il est entré tardivement à l'université, où il a étudié en littérature anglaise. Il avait 35 ans quand il a obtenu son diplôme. C'est à ce moment qu'il a décidé de mener son premier projet bédé.

Au moment de la sortie de Titan, l'an dernier, il avait 38 ans. Ceci explique peut-être cela.

Les premières planches de Titan, il les a dessinées à Portland, où elles ont été publiées dans de petits fascicules par Study Groupe Comics. Mais la plus grande partie de l'album a été faite ici, dans une chambre louée du Plateau. C'est Pascal Girard (publié ici par Drawn & Quarterly), qui a joué les entremetteurs avec les éditions Pow Pow, qui a finalement publié l'album graphique l'an dernier.

Relations de travail

L'idée de départ de cet album futuriste, qui aborde le thème des relations de travail - en 2192 - lui est venue lors d'une promenade dans son quartier.

«J'ai vu deux chiens face à face, un minuscule chihuahua et un énorme chien, démesurément plus grand. Je me suis demandé, s'il y avait un tel écart chez nous, les humains, comment ça affecterait nos relations. Tout est parti de là.» Ces êtres gigantesques, il a les a surnommés les Titans, habitants de la lune Titan (satellite de Saturne). Des êtres génétiquement modifiés pour affronter les conditions difficiles d'une mine exploitée par les Terrans (de taille humaine normale).

L'action se passe sur la station de Homestead, allusion à la fameuse grève et lock-out de la ville du même nom en Pennsylvanie, marquée par un conflit de travail violent qui a débuté en 1892 dans une aciérie. Une lutte envenimée à l'époque par l'embauche d'hommes forts de l'agence Pinkerton pour assurer la sécurité des installations.

Titan s'ouvre ainsi sur la visite de l'administrateur brésilien, l'ADMN João da Silva (qui possède une puce intelligente dans son oeil), venu faire une inspection des installations de la colonie de Homestead. Une station qui n'est plus rentable. Pour optimiser la performance des Titans, il proposera d'installer des capteurs sur les ouvriers, question d'analyser dans le détail leurs journées de travail.

Mais ce dispositif de surveillance irrite les membres du syndicat, qui appellent leurs collègues à la révolte.

Au travers ces péripéties ouvrières, se superpose une histoire d'amour entre l'ADMN da Silva et une leader syndicale géante, Phoebe Mackintosh. «La science-fiction est idéale pour porter un regard sur ce qui se passe aujourd'hui, pour sonder nos peurs et nos obsessions», nous dit François Vigneault, qui dit avoir été influencé par les romans de H.G. Wells autant que les bédés de X-Men.

Nouveau projet avec La Pastèque

François Vigneault s'est vite intégré dans sa nouvelle ville d'accueil, frayant avec la petite communauté de bédéistes montréalais. Le succès de son album Titan - qui pourrait remporter jusqu'à trois prix d'ici un mois - lui a ouvert des portes.

Le bédéiste travaille en ce moment avec l'auteure Geneviève Pettersen (La déesse des mouches à feu) sur un album baptisé 13Avenue, qui se passe dans le quartier Rosemont.

«C'est l'histoire d'un garçon de 11 ans qui quitte sa région natale du Saguenay pour s'installer à Rosemont avec sa mère», révèle François Vigneault, qui signe les dessins. L'album publié par la Pastèque devrait sortir à l'automne. Ce sera le premier tome d'une série, nous dit le bédéiste, qui se réjouit de cette nouvelle collaboration.

Pense-t-il faire sa vie à Montréal? «Je ne sais pas, répond François Vigneault. Pour l'instant, je suis heureux ici. Je ne peux pas exclure la possibilité de rentrer aux États-Unis, mais ce n'est pas mon intention en ce moment.»

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Titan. François Vigneault. Pow Pow. 198 pages.

Image fournie par Pow Pow

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