Paru il y a quelques mois, Va et nous venge de France Théoret prend un éclairage particulier en raison de l'actualité récente. Entrevue avec une auteure féministe fière de l'être.

France Théoret continue de porter la parole féministe bien haut. Au-dessus des modes, des anecdotes et des humeurs de ministres ou d'animatrice de télévision. 

Tenus avant les prises de position que l'on sait sur la notion de ce qu'est être «féministe», les propos de la poète et romancière sont, toutefois, on ne peut plus clairs.

«Le mouvement se désagrège de partout, y compris au Conseil du statut de la femme. Les exemples viennent de haut. Mais cela a toujours été. Dans les années 80, beaucoup de jeunes femmes, de façon agressive, refusaient ce mot. Maintenant, on le dit de façon banale qu'on n'est pas féministe.»

Elle note que le mot «féminisme» fait peur à des femmes qui ont réussi et qui se distancient d'une certaine solidarité.

«Elles ont cette chance que les choses aient évolué, comme toute la question des droits pour laquelle les féministes de mon époque ont tant travaillé. Les jeunes femmes ne savent plus leur histoire, d'où elles viennent et comment elles y sont arrivées. Les changements ne sont pas venus naturellement dans la société.»

Pour France Théoret, le combat continue, donc. 

«C'est pour ça que je veux continuer à écrire comme féministe, même si je ne voyais que la question de l'art quand j'ai décidé de devenir écrivaine. Ça m'a pris des années à me construire. Aujourd'hui, je suis à la fois engagée et dégagée.»

Louky: les féministes

Son plus récent livre, Va et nous venge, nous offre quatre novellas au sujet de femmes victimes de prédation. La plus singulière d'entre elles, la grande Louky Bersianik, faisait face à la plus grande prédatrice qui soit, la mort.

«Dans le cas de Louky, je parlerais d'écriture socio-autobiographique. Ce ne sont pas les choses de l'intime qui m'intéressent autant que celles qui ont une résonance politique et sociale. J'aime que ça ouvre sur le monde dans lequel on vit. La sociologie est plus importante que la psychologie dans mon travail.» 

France Théoret avait publié en 2014 les entretiens qu'elle avait eus en 2006 avec Louky Bersianik. Cette fois, son portrait au «je» respire le respect, voire l'admiration de «celle qui voulait tout» dans la vie.

«J'avais trouvé cette idée déraisonnable, mais j'ai appris à voir ça comme raisonnable. On ne peut pas tout vouloir en même temps, mais on peut vouloir continuellement. Louky n'était pas du tout rigide, telle l'image qu'on peut se faire d'une intellectuelle féministe. Pas du tout. Elle était pour la circulation de la pensée, des médias, des idées.» 

Suzie: la jeune vierge

Va et nous venge s'ouvre sur une histoire de viol d'une enfant par un «ami de la famille». Ce manipulateur de première peut faire penser à Gomeshi, dit l'écrivaine, ou encore à ce cinéaste dont-il-ne-faut-plus-prononcer-le-nom. 

«Je suis partie du personnage de la grand-mère qui parle de sa petite-fille préférée, Suzie. Elle ne parle à sa petite-fille que de sa beauté, son corps, sa sexualité. C'est un modèle absolument pornographique et, pourtant, elle ne cesse de dire qu'elle aime Suzie. Cette femme bourgeoise n'a rien saisi du féminisme.»

Élizabeth: le peuple des travailleurs

La deuxième histoire traite d'un cas d'injustice au travail. D'une femme jugée sommairement par une meute enragée, insensée. 

«La narratrice prend position pour Élizabeth. Elle ne cache pas ce qu'on déballe contre Élizabeth, mais il n'y a rien de grave là-dedans. Élizabeth perd sa permanence dans le système de santé, même si elle souhaite rester dans ce domaine. C'était un défi pour moi d'écrire Élizabeth. Je ne voulais pas que ce soit une métaphore. Je voulais que ce soit réaliste.»

Zoé: une vie intellectuelle

Le dernier récit de prédation raconte les mésaventures sexuelles d'une jeune femme aux prises avec son ancien professeur, un homme faussement libéral, un petit minable. 

«Je voulais parler d'une femme gagnante qui a une vie intellectuelle. À 33 ans, elle a réussi. Elle ne s'occupe pas de sa vie sexuelle. Je voulais aussi parler de Refus global. Pour moi, c'est un grand texte et un enjeu intellectuel entre les deux personnages. Elle voudrait dire des choses nouvelles sur Refus global, il y en a toujours à dire, ce qu'il refuse tout à fait de considérer. Il la menace en lui disant qu'elle lui doit tout.»

Pour toutes ces femmes, la plus importante révolution sociale des 100 dernières années, la féministe, n'est pas finie. Pour France Théoret, il faudrait une sorte de nouveau refus global.

«Je me prends parfois à espérer qu'il y ait un grand mouvement qui bouleverserait la situation actuelle, notre façon de penser et de créer. Qu'on ramasse tout ce que l'on sait pour défoncer les portes à nouveau et projeter quelque chose de nouveau vers l'avant.»

_________________________________________________________________________________

Va et nous venge. France Théoret. Leméac Éditeur. 256 pages.

IMAGE FOURNIE PAR LEMÉAC

Va et nous venge, de France Théoret