Ce n'est pas anodin: le titre de travail du 33e roman de Tremblay était Une éclaircie, une éclaircie? Dans ce huitième tome de la Diaspora des Desrosiers, finalement baptisé Survivre! Survivre!, en librairie mercredi, quelques éclaircies se profilent en effet dans le destin de certains membres du clan Desrosiers. Des presque embellies, des «bonheurs d'occasion» fugaces, mais réels. Avant que ces sursis fragiles ne cèdent le pas au malheur... l'an prochain.

Ça avait presque l'air arrangé avec le «gars des vues»: pendant notre entrevue avec Michel Tremblay dans son bel appartement du Plateau, les nuages gris se sont bel et bien entrouverts pour laisser passer le soleil, qui s'est mis à éclairer doucement le visage de l'écrivain le plus connu du Québec!

Une éclaircie, une vraie, c'était tout indiqué pour parler de Survivre! Survivre!, roman presque atypique dans l'oeuvre de Tremblay parce qu'il y est question de petits bonheurs, de répits et même de très brèves incursions dans le luxe: «C'est vrai, je pense que j'avais envie de tirer un rideau pour que certains de mes personnages voient autre chose que le malheur, au moins pendant quelques moments. C'est peut-être pour cela que ça a été si formidable, l'écrire, ce roman. Même si on sait bien ça ne durera pas, ces bonheurs-là, remarque...»

Oh, qu'on le sait. C'est même pour cela qu'est si délicieusement douloureuse la lecture de ce Survivre! Survivre!, où la beauté de la nature urbaine en automne (le roman se déroule en septembre 1935) fait écho à quelques moments de grâce et d'amitié pour Édouard, Ti-Lou, Maria... Avant de se terminer sur une note tout à fait inattendue, qui annonce la suite, pour ne pas dire la fin: en effet, l'an prochain paraîtra le tout dernier tome de la Diaspora des Desrosiers, celui qui fera le pont avec le roman La grosse femme d'à côté et qui nous expliquera notamment le déménagement sur la fameuse rue Fabre et l'embonpoint de Nana. Son titre? La traversée du malheur. Méchant programme...

L'odeur du gardénia

Mais revenons à ce Survivre! Survivre! bourré à craquer de couleurs et d'odeurs, notamment celles du gardénia, dont Ti-Lou se parfume et dont Édouard rêve. «On oublie que les couleurs et odeurs des fleurs sont faites pour qu'elles survivent, pour attirer ce qui leur permettra de se reproduire ou de se protéger, explique l'écrivain de 72 ans. Plus les couleurs sont flamboyantes, plus les parfums sont forts, plus la fleur survit. Je trouve que c'est une belle image de la "guidoune" qui sent fort et qui flashe pour survivre, une métaphore des gens qui sont extrêmes, qui doivent déranger pour subsister.»

Il y a plein de choses de cet acabit dans ce huitième tome de la Diaspora des Desrosiers, où des personnages jusqu'ici secondaires dans l'oeuvre de Tremblay ont soudain droit à la lumière, aux couleurs et aux odeurs: Laura Cadieux qui a tout juste 16 ans dans Survivre! Survivre!; Théo le timide (qui permet à Tremblay d'aborder un problème bien masculin...); Télesphore, le mari de Victoire, intellectuel raté devenu pilier de taverne.

«J'avais envie de parler de ces gens qui mettent la faute de leur destin sur le dos des autres, qui refusent la responsabilité de leur malheur, explique Tremblay. Ce n'est pas un poète, Télesphore: c'est ce qu'on appelait à l'époque un "powète", avec un "w", un «orateur de taverne»! J'ai toujours aimé ça, écrire sur les orateurs de taverne... Comme Télesphore l'est, comme son "fils" Gabriel va le devenir». Ou comme l'était le Léopold d'À toi pour toujours, ta Marie-Lou.

De ce Survivre! Survivre!, on retiendra aussi une scène magnifique, où la nature elle-même fait «son show» afin de souligner que Josaphat et son violon font se lever la pleine lune depuis 50 ans. Est-ce que c'est parce que ça fait justement 50 ans cette année que vous écrivez, Michel? Cinquante ans depuis la création de votre premier texte, Le train, en 1964? Tiens, vous avez remarqué, il y a même un train dans Survivre! Survivre!?

Court silence de Tremblay: «Ben oui, r'garde donc ça... Je l'avais même pas vu... Si c'est drôle...»

Extrait de Survivre! Survivre!

«Les nuages sont bas, ils traversent le ciel à toute vitesse. Il va pleuvoir. Finis l'été qui s'éternise, les bouffées de chaleur énervantes, l'automne montre le bout de son nez en averses soudaines et en petits coups de vent hypocrites qui n'annoncent rien de bon. [...] le soleil disparaît déjà derrière le mont Royal avant qu'on ait fini de souper. Si la montagne n'était pas là, au beau milieu de l'île, l'est de Montréal aurait une grande demi-heure de lumière de plus chaque jour. Josaphat se demande parfois si les riches de l'ouest [...] n'ont pas choisi cette partie de la ville justement pour cette raison, pour jouir d'une bonne demi-heure de clarté de plus que les pauvres...»

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Michel Tremblay. Survivre! Survivre! Leméac/Actes Sud. 154 pages. En librairie le mercredi 5 novembre.