Louis-Bernard Robitaille, journaliste et auteur québécois «en résidence» à Paris depuis près de 40 ans, poursuit son étude du peuple français en publiant l'essai Les Parisiens sont pires que vous ne le croyez. Pires? Peut-être pas. Mais singuliers, certainement.

Nous avons rencontré Louis-Bernard Robitaille, de passage à Montréal, le jour même où la gauche l'emportait à la mairie de Paris, alors que le reste de la France optait pour la droite lors des élections municipales. Une autre preuve, si besoin est, que «le Parisien ne fait rien comme les autres», comme conclut Robitaille dans son livre? Il y a de ça.

Mais pas que ça. Dans ce nouvel essai, le journaliste-auteur consacre bon nombre de pages à cette «gauchisation» (toute relative) de Paris, sa population étant de moins en moins ouvrière et commerçante. «Les «vrais» HLM sont désormais confinés aux 13e, 18e et 19e arrondissements, explique-t-il, les autres logements sociaux sont habités par des Parisiens de la classe moyenne, intellectuelle et artistique, faute d'espace.»

La quête d'un espace où vivre à Paris relève de la guerre de tranchées, démontre Robitaille avec force cas, exemples et explications. Qui sait que l'espèce de muraille que constitue l'ancienne enceinte de Thiers encercle et enferme Paris à jamais?

Cette enceinte protectrice édifiée au XIXe siècle a depuis laissé place au fameux «périphérique», vaste ceinture étanche. «Aucune autre grande ville n'est aussi bétonnée dans ses limites, littéralement, explique Robitaille. Paris est un huis clos, un aquarium dont on change les poissons assez souvent. C'est aussi un entonnoir, un concentré de pouvoirs: même l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture s'y trouve, avenue George-V en plus, alors qu'il n'y a aucune agriculture à Paris!»

Monter à Paris

Pour être parisien, pas besoin d'être né à Paris, bien au contraire, démontre l'auteur - le plus parisien des Parisiens, c'est Picasso, soutient-il dans son essai. À l'inverse, un Jean Cocteau, né dans le 9e, ne sera jamais «coopté» parisien, malgré tous ses efforts, décrits par l'auteur.

Y naître, donc, pas nécessaire. Par contre, obligation absolue d'y vivre dans certains quartiers, dans certaines rues. Ne serait-ce que dans un souplex.

Un souplex? «Vous achetez un rez-de-chaussée qui fait 30 m2 au sol, et par la suite, vous vous agrandissez en creusant sous terre, explique Robitaille. Il suffit ensuite de démolir au moins en partie le sol du rez-de-chaussée pour que la lumière du jour y parvienne!»

Des «plans» de ce genre, plus ou moins légaux, les Parisiens en concoctent depuis des décennies (la pyramide du Louvres, n'est-ce pas un souplex géant, finalement?), et le livre nous les dévoile avec humour ou nous les rappelle avec cynisme. Ça se placera très bien, les références aux «mètres carrés en loi Carrez» ou au «loyer de 48», au prochain souper entre copains où vous parlerez de Paris et de ses insupportables habitants.

«Si vous voulez faire tout à fait parisien, conseille Robitaille, soyez insupportable ET péremptoire!»

Codes civils

Car il y a des façons de faire parisiennes, des codes subtils et changeants: «C'est un peu comme des idéogrammes chinois, il faut les apprendre un à un, par coeur, dit Robitaille. Si les Parisiens sont souvent désagréables, c'est peut-être parce qu'ils sont constamment méfiants, obsédés par l'idée de commettre un impair. La crainte du ridicule à Paris, c'est la grande affaire: surtout ne pas être pris pour un con! Seulement, comment savoir que le café de Flore est complètement «fini», proscrit, mais qu'on peut, sans déchoir, y aller en semaine, vers 13h?» Robitaille, lui, le sait: c'est le Café de Flore tel que l'a dessiné Sempé qui orne la couverture de son essai.

Jalonné d'anecdotes et de portraits, le livre se décline en cinq grands thèmes, du plus visible (le sol) au plus invisible (le code de conduite). Car, à l'instar des grandes villes de l'Inde ou du Japon, Paris, ville surpeuplée, est dominé par les codes.

«Une amie bien parisienne m'a dit que mon livre portait sur le snobisme, souligne Robitaille, je crois plutôt qu'il porte sur les castes et leurs codes. Le pire crime à Paris, c'est ce qui est considéré comme vulgaire. Parler d'argent, c'est vulgaire. Parler du pouvoir, c'est vulgaire. Converser élégamment de psychanalyse, ça, c'est de bon niveau. Surtout si on peut glisser le nom de son psychanalyste et qu'il est un peu connu...»

Louis-Bernard Robitaille a entrepris cet ouvrage au moment où il a lancé son roman Dernier voyage à Buenos Aires, en mars dernier.

«C'est l'éditeur qui me l'a proposé. J'avais déjà écrit sur les Français [Et Dieu créa les Français, 1995; Le salon des immortels - Une académie très française, 2002; Ces impossibles Français, 2010], je n'étais donc pas sûr de n'être pas en panne après deux pages... Et puis, finalement, il y avait encore beaucoup à dire! C'est un livre écrit par un Nord-Américain bien adapté à Paris, donc un peu tordu: je fais semblant de m'étonner parfois des comportements parisiens. Mais ça marche bien, un peu tordu, à Paris!»

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LES PARISIENS SONT PIRES QUE VOUS NE LE CROYEZ. LOUIS-BERNARD ROBITAILLE. DENOËL, 384 PAGES.