Lundi, trois semaines avant la France, La première chose qu'on regarde, troisième roman de Grégoire Delacourt (La liste de mes envies, 440 000 exemplaires vendus en un an, des tas de prix, des droits de traduction dans 27 pays) sera en librairie au Québec. Un beau roman, sur «la première chose qu'on regarde» chez l'autre, soit le physique, la beauté, les apparences. Entretien avec un écrivain à succès, un publicitaire renommé, mais aussi un père de trois filles.

«Arthur Dreyfuss aimait les gros seins.» La première phrase de La première chose qu'on regarde n'est pas exactement subtile! Mais calmons-nous un brin, puisque Arthur Dreyfuss est un adolescent. L'adolescent va devenir un jeune garagiste qui va continuer à rêver aux plus belles femmes du monde jusqu'à ce qu'un jour, la comédienne Scarlett Johansson débarque dans sa vie.

«Je me suis inspiré d'un souvenir d'enfance», explique Grégoire Delacourt, en direct de son agence de publicité à Paris. «Quand j'avais 12 ans, je trouvais très belle la princesse Caroline de Monaco, qui avait 15 ans. Un jour, j'ai demandé à ma mère s'il me serait possible d'épouser Caroline quand je serais grand. Au lieu de rire de moi, ma mère m'a dit: Pourquoi pas? Ça va être difficile, mais pourquoi pas?

«À partir de là, je me suis mis à imaginer ce que je ferais si Caroline de Monaco venait dans ma chambre, raconte-t-il en riant. Tous les hommes disent à propos d'une très belle femme: ah, je lui ferais ceci et je lui ferais cela. Oui, mais si cette femme de rêve souffrait de l'être? En racontant l'histoire de ce jeune homme très gentil qui vit un fantasme, je voulais parler d'un corps dont rêvent les hommes et qu'envient les femmes, mais surtout de la personne qui vit dans ce corps.

«Je me suis inspiré notamment d'une jeune femme qui a travaillé à l'agence: elle m'avait expliqué qu'elle avait été heureuse jusqu'à l'âge de 12 ans, quand elle s'est mise à avoir une poitrine énorme, qu'elle est devenue un être sexué trop tôt, qui n'a jamais connu une période d'amour sentimental ou romantique à cause de ses seins.

«Nous vivons dans une ère où les femmes se font tout refaire, le nez, les seins, les jambes, et où les hommes obsèdent sur la longueur de leur pénis, reprend-il. En France, on estime qu'une fille sur deux, âgée de 15 à 23 ans, envisage déjà une intervention chirurgicale pour s'améliorer! J'ai trois filles et je fais tout pour qu'elles réalisent qu'elles sont belles comme elles sont, qu'elles n'ont pas à essayer de ressembler à une autre pour être belles...»

En abordant le sujet de la beauté, Delacourt a conscience de parler de son envers, la laideur, et de la douleur qu'elle engendre: «Je connais des gens qui sont des êtres magnifiques sous des dehors que personne n'apprécie. C'est pour cela que j'évoque La Callas, qui n'était pas belle, mais qui devenait plus que belle quand elle chantait.»

Delacourt cite toujours un auteur dans ses romans. Après Belle du Seigneur d'Albert Cohen dans La liste de mes envies, ce sont les poèmes du Français Jean Follain (1903-1971) qui sont évoqués dans La Première chose....

«Follain est un poète que j'aime énormément, dit-il, parce qu'il s'exprime avec des mots simples. Je trouve que c'est poli et respectueux, utiliser des mots simples», ajoute le romancier de 53 ans, qui a terminé l'écriture de ce livre à Montréal l'automne dernier. «J'étais tellement ravi de votre accueil que j'ai tout fait pour que sa sortie mondiale commence au Québec!»

Surprise, il est justement question de Céline Dion et de sa chanson Vole dans le roman. Delarcourt ne connaît pas personnellement la chanteuse, mais...

«Il y a huit ans, une de mes employées a été tuée, à 18 ans, dans un accident de voiture. Ses parents m'ont invité à ses funérailles et ont fait jouer cette chanson. Dans l'église, il y a eu soudain une très grande beauté, presque une joie. En 2009, quand ma mère est morte, j'ai demandé à ma soeur qu'on fasse jouer cette chanson, et la même beauté a surgi. Alors, j'ai voulu que cette chanson, associée pour moi à deux morts, devienne tout le contraire pour l'héroïne de mon roman: cette chanson lui donne la vie.»

Nous n'en dirons pas plus. Sinon qu'entre Arthur et Scarlett Johansson se trame une magnifique histoire d'amour, dont Grégoire Delacourt nous dit quasi d'emblée qu'elle va se terminer rapidement et dramatiquement. Pourquoi nous le dire? «Pour qu'on en savoure chaque seconde avant la fin. Comme on devrait le faire dans nos vies, puisqu'il y a toujours une fin...»

Extrait La Première chose qu'on regarde

«Un jour, j'ai trouvé un livre de poésie dans une voiture. Une voiture accidentée. Je n'aurais jamais cru qu'on pouvait trouver un livre de poésie là. C'est pour ça que je l'ai pris. Je l'ai lu plein de fois. Plus je le lisais, plus j'avais l'impression que tout ce qu'on découvre dans la vie a déjà été découvert avec les mots, tout ce qu'on ressent, déjà ressenti. Que tout ce qui va avoir lieu nous habite déjà.»

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La Première chose qu'on regarde. Grégoire Delacourt. JC Lattès / Hachette Canada.