En 1998, la romancière sino-canadienne Ying Chen avait créé dans Immobile la «femme de A», et depuis, elle a donné à cette femme anonyme et désincarnée des vies antérieures, un enfant qui est disparu, un double, et l'a même transformée en chatte.

Pour la première fois, son mari prend la parole dans La rive est loin, qui décortique la relation de couple dans un moment tragique puisque A est atteint du cancer du cerveau.

Les deux voix alternent, entre le prosaïsme du scientifique et les envolées oniriques de sa femme, et tous deux font une sorte de bilan de leur vie commune.

Le fossé qui les sépare est immense: leur regard sur leur vie n'est pas le même, le besoin qu'ils ont l'un de l'autre non plus, on sent pourtant le fil qui les relie.

Avec sa concision habituelle, Ying Chen nous plonge au coeur d'un drame intime avec un détachement apparent, mais amène aussi une touche de tendresse.

Le résultat reste dur et complexe - les retours dans les vies antérieures peuvent finir par être frustrants parce qu'ils freinent un récit autrement puissant -, mais la prose poétique sans concession de Ying Chen demeure une expérience forte.

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La rive est loin. Ying Chen. Boréal, 140 pages.