Profilage racial, appauvrissement, dévaluation et racisme ambiant. Cela existe au Canada, un pays à l'image pourtant inclusive et multiculturelle. Dans son livre NoirEs sous surveillance - Esclavage, répression et violence au Canada, dont la traduction en français vient de paraître, l'auteure et militante montréalaise Robyn Maynard relate une série de faits historiques liés à l'esclavage et du colonialisme - et même cautionnés par l'État - qui briment toujours les communautés noires du Canada.

Avec la famille de Nicholas Gibbs - ce jeune homme de 23 ans tué par les policiers il y a deux mois - qui a intenté une poursuite contre la Ville de Montréal, la traduction en français du livre de la militante et féministe montréalaise Robyn Maynard est encore plus d'actualité.

Dans NoirEs sous surveillance - Esclavage, répression et violence au Canada, l'auteure dresse l'historique canadien de la répression - et même du système de contrôle racial - qui brime les communautés noires depuis plus de 200 ans.

Le sort tragique de Nicholas Gibbs est un cas de trop pour Robyn Maynard. «Nous sommes dans la continuité de notre histoire.»

«Les Noirs sont de deux à quatre fois plus interpellés par la police», indique-t-elle en citant une enquête récente de la CBC qui a révélé que le tiers des gens tués par la police de Toronto de 2000 à 2017 étaient noirs, alors qu'ils représentent 8 % de la population.

À Montréal, ajoute-t-elle, un rapport du service de police de 2009 a conclu que près de 40 % des jeunes hommes noirs des quartiers Saint-Michel et Montréal-Nord avaient subi un contrôle d'identité en 2006 et en 2007, contrairement à 6 % des Blancs.

Robyn Maynard fait la démonstration que la dévaluation des Noirs est systémique au Canada et que ce racisme est le produit «de structures et de mécanismes de surveillance», que ce soit dans les écoles, les prisons, de la part de la police ou dans le processus d'immigration.

Il y a toujours des relents de colonialisme envers les Noirs, comme il y en a envers les autochtones. «Il y a un racisme historique dans plusieurs institutions. Les Noirs et les autochtones ont été déshumanisés», dit Robyn Maynard.

Il faut lire son ouvrage de plus de 450 pages - dont 130 de sources et de références - pour constater que ce ne sont pas des paroles en l'air. La chercheuse indépendante cite de nombreuses études, rapports et demandes d'accès à l'information. «Quand les communautés noires parlent d'injustices, c'est mis de côté et on dit que c'est une perception. Je voulais démontrer au grand public que ce n'est pas une perception, mais une description de faits.»

Des événements historiques méconnus

Son livre s'adresse donc à tous. «Je voulais parler aux membres de ma communauté qui se battent pour la justice sociale, aux universitaires, mais je voulais aussi que ce soit accessible pour tout le monde.»

Avec le succès de la version originale en anglais de son livre, elle peut dire mission accomplie. «Nous en sommes déjà à la troisième réimpression», souligne l'auteure, qui a figuré sur plusieurs palmarès et qui a été finaliste de l'Atlantic Book Award. 

«C'est un sujet qui peut être lourd et difficile à vendre, mais il y a un grand intérêt pour les réalités que je décris dans le livre.»

Des réalités et des faits historiques méconnus, comme l'existence d'une ville - fondée en 1840 - en marge d'Halifax, peuplée de Noirs, appelée Africville.

Dans ses recherches, Robyn Maynard a découvert une «longue histoire de résistance, de résilience et d'activisme». Elle a notamment appris l'existence d'un journal torontois dans les années 80, Our Lives, où des féministes noires décrivaient et commentaient leur quotidien.

Dans son livre, on apprend aussi que la fermeture au Canada de la dernière école ségrégationniste - en Nouvelle-Écosse - remonte à 1983. Aux États-Unis, c'était dans les années 50. 

En 2016, une fillette noire de 6 ans de Mississauga a été menottée par la police.

Quand on se compare...

Par rapport aux États-Unis présidés par Donald Trump - où le mouvement Black Lives Matter dénonce des cas de brutalité policière -, le Canada passe-t-il pour un pays trop gentil dans l'opinion publique?

«On se compare toujours aux États-Unis, mais on ne demande pas si ce qui arrive ici est éthique, répond Robyn Maynard. Sommes-nous à l'aise avec notre histoire? Nous avons des statistiques comparables à celles des États-Unis. Il y a un déni de ce qui se passe ici, mais les injustices sont peut-être moins visibles ici.»

Si le Canada est souvent décrit comme une terre d'accueil des esclaves noirs qui ont fui les États-Unis, Robyn Maynard fait état dans son livre de plus de 200 ans d'esclavage au Canada.

Au début du XXe siècle, le Canada payait des médecins canadiens pour dissuader des migrants noirs des États-Unis de venir au Canada sous prétexte que le climat était trop rigoureux.

Différentes provinces, même combat

Beaucoup de Montréalais sont d'origine haïtienne, alors que de nombreux Torontois sont d'origine jamaïcaine. «Les réalités des communautés noires sont presque les mêmes d'une province à l'autre, souligne Robyn Maynard. Il y a une perception (assumption) qu'ils sont des criminels, moins intelligents et moins enclins à apprendre.»

Il y a de l'espoir malgré tout, écrit Robyn Maynard en conclusion. Mais à quelles conditions? «Il faut que la population canadienne regarde la réalité et notre histoire comme elles sont, dit-elle. Il faut un engagement à changer les choses pour combattre les injustices qui persistent dans le temps. Il faut rompre avec notre historique raciste.»

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NoirEs sous surveillance - Esclavage, répression et violence au Canada. Robyn Maynard. Mémoire d'encrier. 456 pages.

IMAGE FOURNIE PAR MÉMOIRE D’ENCRIER

NoirEs sous surveillance - Esclavage, répression et violence au Canada, de Robyn Maynard