Le dessinateur français Jean Giraud alias Moebius est décédé samedi à Paris après une longue carrière qui en a fait un des maîtres de la bande dessinée européenne, reconnu aux États-Unis des lecteurs de comics et au Japon des fans de mangas.

«Il est mort ce matin des suites d'une longue maladie», a indiqué à l'AFP sa belle-soeur. Jean Henri Gaston Giraud de son vrai nom aurait eu 74 ans en mai.

«Toute la profession est sous le choc, totalement effondrée, même si on savait qu'il était gravement malade», a déclaré à l'AFP le secrétaire général de l'Association des critiques de BD (ACBD) Gilles Ratier.

«J'ai perdu un vrai bon pote», s'est désolé le dessinateur Boucq en saluant le talent d'un «maître du dessin réaliste», ainsi qu'un «réel talent humoristique» chez Moebius. Talent «dont il faisait encore largement preuve quand je l'ai vu il y a quinze jours, sur son lit d'hôpital, à l'égard des infirmières», a-t-il raconté à l'AFP.

Dessinateur et scénariste, Jean Giraud restera l'un des créateurs les plus audacieux et féconds du genre.

Gir, Giraud, Moebius, Moeb... Jean Giraud a dessiné en se multipliant pendant plus de 50 ans.

Sous son nom, il a créé en 1963 le lieutenant Blueberry, personnage de western devenu l'un des héros les plus célèbres de la BD française. «Mon ambition était féroce. Je voulais casser la baraque, que le monde de la BD soit stupéfait», avait raconté Giraud à l'AFP.

Sous le pseudonyme de Moebius, il a signé des oeuvres de science-fiction moins classiques. Deux facettes qui lui ont permis de devenir un artiste à la fois culte et très populaire.

«J'ai deux pôles, deux gestes. Quand je suis dans la peau de Moebius, je dessine en état de transe, j'essaye d'échapper à mon "moi"», a-t-il déclaré à l'AFP à l'occasion de la première rétrospective majeure consacrée à son oeuvre, en 2010 à la fondation Cartier pour l'art contemporain à Paris.

A ce moment-là, la calvitie et le pull camionneur avaient remplacé depuis longtemps les longs cheveux bruns et les chemises à fleurs de sa jeunesse. Mais il avait gardé les yeux de l'enfant de la banlieue parisienne qu'il était lorsqu'il avait publié ses premiers dessins en 1957, avant un séjour au Mexique qui le bouleversa.

«Ca m'a marqué pour la vie. Mon goût pour le fantastique est très lié à ça. J'ai eu l'impression d'être dans un western et, d'un coup, on basculait dans la modernité américaine», a-t-il expliqué.

Nourri de contre-culture américaine, il co-fonde en 1975 la revue «Métal Hurlant» et ressuscite Moebius, le pseudonyme qu'il avait utilisé une dizaine d'années plus tôt, inspiré du mathématicien allemand créateur du ruban du même nom.

«C'était une signature, un logo qui ouvrait toutes les portes que je voulais ouvrir. Ce que nous voulions, c'était sortir du cadre relativement restreint, sous surveillance parentale, policière, de la BD de l'époque», a-t-il commenté.

Il renouvelle le fantastique, invente un univers parallèle, explore les techniques graphiques et narratives. Il crée «Arzach», «l'Incal» et le «Major fatal», personnage improbable affublé d'un éternel casque colonial.

Moebius, c'est le triomphe de la liberté et de l'exploration. Un univers onirique digne du mythique «Little Nemo» de l'Américain Winsor McCay. Au cinéma, il collabore alors à la conception de films de Ridley Scott (A+) ou Luc Besson (Le cinquième élément).

Il travaille également avec Stan Lee et illustre un Surfeur d'Argent, fait rare pour un Européen au pays des comics. Plus tard, il revisite le mythe d'Icare avec Jiro Taniguchi, un maître du manga japonais.

«Une chose importante dans ce métier, c'est d'être capable de s'évaluer. Surtout au début... après on s'en fout. A l'heure actuelle, je serais incapable de dire quelle est ma valeur en tant que dessinateur».

Le marché de l'art l'a fait pour lui. Fin 2007, une planche d'Arzach s'est vendue 58 242 euros aux enchères.