Dans Le Petit Capuchon bleu (et le loup qui voulait s'appeler Jennifer), le conte classique en prend pour son rhume. Marie Demers - fille de Dominique et doctorante en littérature - transforme Le Petit Chaperon rouge en récit anticonformiste. Elle fait aussi paraître Peau de vache (ou la princesse qui voulait épouser son papa), pas mal moins tristounet que Peau d'âne. Entretien.

Est-ce votre idée de revisiter les contes dans cette nouvelle série de romans jeunesse ?

Oui. Je ne suis pas la première à le faire, je ne serai pas la dernière non plus. Ça m'est venu dans un colloque sur les contes de fées - je fais mon doctorat en littérature. On parlait du Petit Chaperon rouge. Je me suis rappelé la fameuse scène où le loup, après avoir mangé la grand-mère, se déguise de la même manière pour attirer le Petit Chaperon rouge. Je me suis dit : « Ce serait tellement drôle si le loup y voyait une révélation. S'il se disait : "Je me sens bien, enfin !"

Les contes sont des récupérations de récits oraux. Les frères Grimm et Perrault les ont modifiés, réécrits. Ils se sont servis des contes pour créer un petit humain qui a peur de certaines choses et pour genrer les rapports sociaux. Je fais exactement ce qu'ils font, en un sens. Je me dis que ces contes ne reflètent plus du tout notre société, nos valeurs. On continue à les lire, à les considérer comme des classiques, alors qu'il y a des choses fondamentalement toxiques dans certaines idées qui y sont véhiculées.

Que voulez-vous dire avec Le Petit Capuchon bleu ?

Peu importe de quoi tu as l'air, oublie un peu ce qu'on attend de toi et fais ce que toi, tu sens qui est le mieux pour toi.

Encore aujourd'hui, il est important de dire aux filles qu'elles n'ont pas à être discrètes, jolies, gentilles et aux garçons qu'ils n'ont pas à parler fort, à se chamailler et à manger en grosses quantités, comme dans votre conte ?

Oui. Ça a l'air nono, mais je prends juste l'exemple de la collection de vêtements pour enfants de Céline Dion, Celinununu. Ce sont des vêtements non genrés. Je suis un peu masochiste, je suis allée voir les commentaires sur Facebook. C'est plein de matantes et de mononcles, des individus élevés dans des blocs conservateurs dont ils ne sont pas sortis, qui disent : « Ah mon Dieu, c'est effrayant ! » Est-ce si effrayant que ça de ne pas donner une Barbie à une fille et de la donner à un petit gars ? Il me semble que non.

J'ai deux frères, je suis la petite dernière. Pour avoir été élevée dans une famille avec un peu plus de gars, je me sens plus gars. C'est une question d'éducation. Je vois à quel point j'ai été formée par mon entourage.

Lisiez-vous des contes de fées, petite ?

Ah oui. J'ai eu ma phase princesse, vraiment désagréable, où je portais 28 bracelets en disant : « Ne me touchez pas ! » Et j'adore les contes de fées. Si je les revisite, c'est aussi parce que je les aime, bien entendu. Si on reprend la structure du conte de fées - qui est super le fun - en la poussant un peu, il y a encore beaucoup de choses à faire.

Vous déplorez la censure en littérature jeunesse ?

Oui. C'est comme si la littérature était la dernière chasse gardée de la pureté enfantine. Pourtant, le petit gars ou la petite fille de 10 ou 11 ans a très bien pu taper www.pornhub.com sur un ordinateur. À un moment donné, il faut comprendre que même si la littérature traite de sujets de façon un peu précoce, elle les traite autrement que dans un film ou sur l'internet. En littérature, on a accès à l'intériorité du personnage. Ce n'est pas quelque chose de superficiel : on se pose des questions, on n'a pas le choix.

Vous revisitez aussi Peau d'âne, avec Peau de vache (ou La princesse qui voulait épouser son papa).

Au tout début, on l'a présenté à des libraires et certains étaient réticents. Ils disaient : « Ah non, c'est un conte sur l'inceste. » Oui, Peau d'âne, c'est un père qui veut absolument épouser sa fille, parce que depuis la mort de sa femme, il ne trouve pas une nouvelle reine plus belle et mieux faite. Moi, je renverse la chose : c'est la fille qui veut épouser son père. Je touche à un complexe commun. Quand j'étais petite, je disais ça à mon père. Je le voyais sourire en coin. C'était un jeu entre nous. En le renversant, je joue avec une idée déraisonnable et j'en fais un conte profondément comique.

Le Petit Capuchon bleu (et le loup qui voulait s'appeler Jennifer)

Texte de Marie Demers, illustrations de Lucile Danie Drouot, éditions Dominique et compagnie.

Dès 9 ans

PHOTO FOURNIE PAR DOMINIQUE ET COMPAGNIE

Le Petit Capuchon bleu (et le loup qui voulait s'appeler Jennifer), texte de Marie Demers, illustrations de Lucile Danie Drouot, éditions Dominique et compagnie. Dès 9 ans

Peau de vache (ou La princesse qui voulait épouser son papa)

Texte de Marie Demers, illustrations de Chloé Baillargeon, éditions Dominique et compagnie.

Dès 9 ans

PHOTO FOURNIE PAR DOMINIQUE ET COMPAGNIE

Peau de vache (ou La princesse qui voulait épouser son papa), texte de Marie Demers, illustrations de Chloé Baillargeon, éditions Dominique et compagnie. Dès 9 ans