Vendredi dernier, lors de l'annonce des cinq livres finalistes au Prix littéraire des collégiens 2018, les personnes présentes ont appris en même temps qu'Amazon était devenue le commanditaire principal du prix, ce qui a provoqué l'étonnement, voire de la grogne.

Dans le communiqué de cette annonce, on peut lire, dans les mots du vice-président d'Amazon Canada, Alexandre Gagnon: «Amazon est très fière d'appuyer le Prix littéraire des collégiens, qui a fait connaître des auteurs locaux à des milliers de jeunes depuis sa création. Nous partageons l'engagement du programme à susciter un amour pour la littérature québécoise tant dans la province qu'à l'extérieur, et nous avons hâte de développer cette relation au fur et à mesure que nous toucherons de futures générations d'auteurs et de lecteurs.»

Dans une action commune, l'Association des libraires du Québec (ALQ), la coopérative des Librairies indépendantes du Québec, la Fédération québécoise des coopératives en milieu scolaire (FQCMS), l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et même les cinq écrivains finalistes - Karoline Georges, Kevin Lambert, Jean-Christophe Réhel, Lula Carballo et Dominique Fortier - ont écrit trois lettres adressées à Claude Bourgie Bovet, cofondatrice du prix, afin de protester contre ce partenariat qui crée beaucoup de questionnements.

Pour l'ALQ, ce sont les pratiques d'Amazon et les impacts «néfastes sur les lecteurs et l'industrie du livre d'ici» qu'on craint. «En s'associant à Amazon, vous encouragez les jeunes vers des habitudes de consommation en dehors de leur librairie de proximité», lit-on. Jointe par La Presse, Katherine Fafard, directrice générale de l'ALQ, précise: «Avec cette clientèle ciblée que sont les jeunes, la responsabilité des fondations, organismes, etc. est de les éduquer à l'achat responsable, ce qu'Amazon ne représente pas. C'est d'autant plus déplorable qu'ils se soient tournés vers eux plutôt que nous, parce que nous n'avons même pas été approchés. On est en train de former les lecteurs de demain et on leur envoie le message que c'est correct d'acheter sur une plateforme étrangère, alors qu'on doit être solidaires. Parce qu'Amazon n'est pas tenue de respecter la loi du livre ici et suivre les règles du jeu. Ce n'est pas une entreprise qui met de l'avant les auteurs d'ici, ce que les libraires et les éditeurs du Québec se démènent à faire depuis des décennies. Et subitement, ils s'intéressent à un prix littéraire d'ici.»

Même son de cloche auprès d'Arnaud Foulon, président de l'ANEL. «Le comité d'un prix littéraire n'est pas tenu de nous faire part de ses commanditaires, mais dans ce cas-ci, c'était certain que les gens allaient réagir différemment, car ce prix-là a particulièrement été porté par les libraires, explique-t-il. Et là, c'est comme si une librairie étrangère venait cueillir un fruit mûr. Dans quelle mesure Amazon est essentielle à ce prix-là? C'est ce que je veux comme réponse. Je pense qu'on a un devoir de garantir qu'on va protéger l'écosystème du livre d'ici, où chaque maillon de la chaîne a un rôle à jouer.»

Une aide substantielle

Sylvie Bovet, coordonnatrice du Prix littéraire des collégiens, affirme avoir discuté avec tous les acteurs autour du prix pour «se faire une tête avec tout ça». «Ce qu'il faut savoir, c'est que Claude Bourgie Bovet a cofondé ce prix avec le professeur Bruno Lemieux il y a 15 ans, inspiré du Goncourt des lycéens en France. C'est la Fondation Marc Bourgie qui porte ça à bout de bras depuis 15 ans, par amour de la littérature, et qui fait que le prix est ce qu'il est aujourd'hui. Notre mission principale est vraiment de faire lire les jeunes. On est un peu déçus et tristes de voir ces réactions, car dans le fond, on ne veut que du bien. Mais on fait face à une demande accrue des cégeps et des collèges, et on est au bout de notre structure, on ne peut plus aller plus loin.»

«Chaque année, on cherche des commanditaires, on travaille avec acharnement pour trouver des subventions et là, on a la chance d'avoir un partenaire qui appuie notre mission et assure la pérennité du prix. C'est une aide substantielle qu'on ne pouvait aller chercher ailleurs.»

Mme Bovet dit qu'elle ne peut dévoiler le montant de cette commandite, mais qu'il s'agit de la plus importante reçue jusqu'à maintenant. Quant à l'idée d'aller chercher plutôt des partenaires locaux, elle affirme: «Ça fait 15 ans qu'on cherche des sous, s'il y en avait qui avaient voulu être partenaires, ils seraient venus avant, on avait les bras grands ouverts.» Sylvie Bovet comprend cependant les protestations. «C'est le mot Amazon qui choque. C'est juste un acteur des années dans lesquelles nous sommes. Nous, on pense aux étudiants. Oui, ça va peut-être choquer, mais je pense qu'on peut tous cohabiter. Il y a des pour et des contre, mais ça vaut vraiment le coup d'aller de l'avant. On veut juste continuer notre bonne oeuvre, et ça nous prend une structure de fonctionnement qui dépasse la Fondation.» 

Des finalistes embêtés

Très heureux d'abord d'avoir été sélectionnés pour le Prix littéraire des collégiens, qu'ils respectent, les finalistes affirment dans leur lettre que leur joie a été «entachée» en apprenant ce partenariat avec Amazon. «Notre immense malaise provient de la concurrence dangereuse que ce géant exerce contre les librairies du Québec. Faut-il rappeler la précarité du commerce du livre et de l'édition littéraire? Faut-il citer les méthodes inhumaines de ce géant de la vente en ligne, qui constitue un péril pour les petits commerçants et les milieux culturels?»

«On est mal à l'aise d'être personnellement associés à Amazon, qui fragilise les librairies», a confié Kevin Lambert à La Presse, parlant au nom des finalistes qui ont décidé de prendre des décisions ensemble jusqu'à nouvel ordre.

Mais tous s'accordent pour dire qu'ils ne veulent pas nuire au Prix littéraire des collégiens, apprécié dans le milieu, qui fait participer annuellement environ 800 élèves de 62 cégeps et collèges au Québec. Les finalistes ne comptent pas se retirer du prix pour l'instant, afin de ne pas pénaliser les élèves et professeurs qui y participent. De la même façon, l'ALQ insiste pour dire qu'il n'est pas question de boycotter les livres des finalistes. «Ce sont d'excellents livres qui ont été sélectionnés, des livres que les libraires défendent et dont certains pourraient se retrouver dans la liste des Prix des libraires qui sera bientôt dévoilée, explique Katherine Fafard. Par contre, s'il y a du matériel promotionnel avec le logo d'Amazon avec ce prix, ça ne rentrera pas dans nos commerces.»

Le Prix littéraire des collégiens, créé en 2003, est un organisme sans but lucratif qui reçoit le soutien financier de la Fondation Marc Bourgie, de la Fondation RBC, du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur et du ministère de la Culture et des Communications du Québec. Chaque année, des centaines d'élèves choisissent un lauréat ou une lauréate qui reçoit une bourse de 5000 $.

photo le quotidien

L'écrivain Kevin Lambert, cosignataire d'une des lettres des finalistes envoyées au Prix littéraire des collégiens