La jeune romancière franco-marocaine Leïla Slimani a remporté jeudi le prix Goncourt, plus prestigieuse distinction de la littérature francophone, pour Chanson douce, récit glaçant du meurtre de deux jeunes enfants par leur nourrice.

Autre femme, autre homicide: la dramaturge française Yasmina Reza (connue mondialement pour sa pièce «Art») a de son côté décroché le prix Renaudot pour Babylone, sur un homme qui étrangle son épouse suite à un banal malentendu.

Chanson douce, deuxième livre de Leïla Slimani et grand succès de librairie, a été choisi dès le premier tour avec six voix sur dix par le jury du Goncourt, réuni dans son antre, le restaurant Drouant au coeur de Paris.

Interrogée dans le brouhaha de ce lieu, la jeune romancière, rayonnante, a dédié le prix à ses parents qui lui ont «enseigné l'amour de la littérature et de la liberté», précisant «profiter minute par minute» de cette récompense. «J'avais envie d'ausculter ces histoires» de nounous, qui occupent une place «étrange» dans les foyers, a-t-elle expliqué.

La jeune femme, née au Maroc, succède à Mathias Enard, couronné en 2015 pour l'exigeant Boussole sur les liens entre Orient et Occident. Peu de femmes ont eu l'honneur du Goncourt: la jeune romancière est la 12e depuis la création du prix en 1903.

En seulement deux romans, la Franco-Marocaine s'impose comme une nouvelle voix de la littérature n'hésitant pas à explorer des territoires sombres, de la nymphomanie dans son premier livre (Dans le jardin de l'ogre, 2014) au coup de folie d'une nounou bien sous tout rapport dans ce deuxième roman.

«Le bébé est mort». Ainsi débute ce livre, qui se dévore comme un thriller mais peut aussi se lire comme un livre implacable sur les rapports de domination et la misère sociale. L'enfant a été assassiné par sa nourrice, Louise, une «perle», dévouée, discrète et volontaire, le genre de nounou que tous les parents recherchent.

Leïla Slimani va remonter le cours du temps et tirer un à un les fils de la tragédie dans un récit extrêmement bien construit.

Son style est clair, direct et précis. Elle évite les considérations psychologiques qui pourraient expliquer ce coup de folie. Au contraire, Leïla Slimani nous raconte cette histoire, inspirée d'un fait divers réel survenu à New York en octobre 2012, à la manière froide et distanciée d'un Simenon.

«Monde des disparus»

C'est en revanche une romancière et dramaturge chevronnée que le Renaudot a distinguée avec Babylone de Yasmina Reza, qui tient autant du roman noir (il est question d'un crime) que de l'analyse subtile de nos «vies minuscules», condamnées à l'oubli.

«Pour moi, Babylone, c'est le monde des disparus, des émotions qu'on aurait pu vivre, de toute cette humanité derrière nous», expliquait récemment la romancière, auteur français le plus joué dans le monde, au cours d'un entretien avec l'AFP.

Le choix du jury Goncourt laisse trois finalistes déçus: Catherine Cusset (L'autre qu'on adorait), Régis Jauffret (Cannibales) et le rappeur franco-rwandais Gaël Faye (Petit pays).

À 34 ans, ce dernier a tout de même réussi un coup de maître: outre sa qualification parmi les finalistes du Goncourt, son premier roman, sur son enfance au Burundi, est un succès de librairie.

Le Goncourt demeure une aubaine pour les éditeurs. En moyenne, un livre primé s'écoule à plus de 345 000 exemplaires. Le lauréat, lui, se voit remettre un chèque symbolique de 10 euros (15 $).

Ces récompenses clôturent la saison des prix littéraires en France. Mercredi, le prix Médicis a été attribué à Ivan Jablonka pour Laëtitia ou la fin des hommes, portrait sensible d'une victime d'un fait divers qui avait bouleversé la France.

Quant au Fémina, attribué par un jury exclusivement féminin, il était allé mardi à Marcus Malte pour son roman Le garçon, qui invite à traverser le début du XXe siècle aux côtés d'un garçon sans nom.