À partir de l'histoire d'une jeune Acadienne atteinte du syndrome d'enfermement (locked-in syndrome), Christine Eddie a écrit un roman étonnamment aérien sous forme d'hommage à l'imagination. Trois ans après Parapluies, elle met sa plume lumineuse et sobre au service d'une battante hors du commun.

Angèle est littéralement enfermée dans son corps depuis quatre ans, foudroyée par cet état neurologique rare comme le fut le journaliste français Jean-Dominique Bauby, dont le livre Le scaphandre et le papillon, devenu film, a touché le monde entier.

«C'est le même cerveau qu'avant, sauf que son corps est immobilisé.» Christine Eddie, qui connaît Angèle depuis longtemps, a justement écrit Je suis là pour dire aux gens, loin de tout misérabilisme, «qu'elle existe». Qu'à l'intérieur de sa prison corporelle palpite un être humain avec toute son intelligence, son humour, sa culture et sa mémoire.

«Je ne voulais surtout pas faire quelque chose de sensationnel, la victimiser en la montrant seulement comme une handicapée. Au fond, Angèle, c'est quelqu'un qui a une nouvelle vie et qui est heureuse. Croyez-le ou non.»

Le pouvoir de l'imagination

Il y a peu de différences entre l'Angèle du livre et celle de la vraie vie. Son métier de bibliothécaire, les lieux qu'elle a aimés, ses enfants - elle est maman de petites jumelles -, sa famille, Christine Eddie a utilisé tout cela pour créer son personnage. «Sa mère m'a dit: ce n'est pas Angèle, mais ça lui ressemble. Ses amis vont la reconnaître.»

Après réflexion, Christine Eddie estime que de s'inspirer d'une personne réelle lui a donné une liberté «incroyable». «Le texte peut vraiment aller dans toutes les directions parce que son imaginaire et sa vie m'offraient un spectre de possibilités délicieuses.»

L'esprit humain aime les digressions: ainsi, celui d'Angèle vogue d'une visite d'Oscar Wilde à Moncton à un rave montréalais, de l'abbé Faria du Comte de Monte-Cristo à Pascal Poirier, auteur méconnu et déterminé d'un glossaire acadien. Et la jeune femme dialogue régulièrement avec Nepenthès, «sa voix intérieure», celle qui nous parle dans notre tête et qui nous répond. «C'est un peu l'imagination, l'art, la culture qui la sauvent.»

Solidarité

L'aspect fictionnel du roman se trouve aussi dans les personnages secondaires, résidents, infirmières, ambulanciers qui gravitent autour d'Angèle dans le centre de la ville de Shédiac où elle est hébergée. Comme dans Les carnets de Douglas et Parapluies, Christine Eddie montre une prédilection pour les familles qui se choisissent et se reconstruisent, les communautés qui s'épaulent.

Un choix bien involontaire, précise-t-elle. «Je n'arrive pas à concevoir une plus belle façon d'atténuer le malheur que la solidarité. Et c'est ce qui arrive dans la vie de presque tout le monde: on a tous vu autour de nous le monde se mobiliser, cuisiner des lasagnes, organiser des collectes pour quelqu'un qui a le cancer. La bonté est partout sauf dans les journaux.»

Et dans les livres: Christine Eddie l'admet, montrer des gens qui ont «le coeur sur la main» fait souvent de moins bonnes histoires. Mais elle refuse d'être taxée d'angélisme. «Je suis du genre pessimiste et inquiète, je suis consciente de ce qui va mal, mais on ne parle pas assez de ce qui va bien. Ça me désole cependant si on trouve que je suis trop rose. Il y a une lucidité dans la voix d'Angèle, qui navigue entre le malheur et la survie. Ça donne d'ailleurs le ton que ça a donné.»

Impliquée

Le syndrome d'enfermement, quand on y pense plus de cinq secondes, donne le vertige. «C'est vrai, répond Christine Eddie. C'est tellement gros, excessif, qu'on a du mal à imaginer continuer à vivre avec le sourire, avec une charge aussi lourde.» On imagine que d'autres qu'Angèle se seraient laissé abattre. «Ça demande une force intérieure. Oui, elle a eu envie de vivre et mourir en même temps, mais après quatre ans, elle est rendue ailleurs.»

Jeune femme à l'humour et à l'esprit vif - «Elle adore raconter des blagues!» -, Angèle, avant sa maladie, était très engagée dans sa communauté et continue de l'être à sa manière. «Elle a décidé de laisser pousser ses cheveux, pour qu'on puisse en faire une perruque pour une femme qui a le cancer du sein. Moi ça me sidère: je ne fais même pas ça!»

Christine Eddie espère qu'en refermant le livre, chaque lecteur saura «qu'Angèle est là», qu'il aura de l'affection pour elle et qu'elle lui aura insufflé un peu de force et de gratitude par rapport à sa propre existence. Car dans la vie, explique Angèle dans le livre, il y a des «sous-drames» - un mal de dents, une photo ratée -, des «drames hypothétiques» et des «vrais drames». Celui d'Angèle: «Que mes filles ne sachent pas à quel point je les aime.» C'est chose faite maintenant.



*

Qu'est-ce que le locked-in syndrome

Un peu plus de 70 000 personnes dans le monde seraient atteintes du syndrome d'enfermement, qui touche le système nerveux central la plupart du temps à la suite d'un AVC. Le résultat: bien que dotée de toutes ses facultés cérébrales, la personne est complètement paralysée et ne peut bouger que les paupières. On a mieux connu ce handicap lorsque le journaliste français Jean-Dominique Bauby a publié en 1997 Le scaphandre et le papillon, après l'avoir dicté avec sa paupière grâce à un code alphabétique. Le roman a été adapté au cinéma en 2007.

EXTRAIT JE SUIS LÀ

«Comme moi, mes amis de la résidence excellent dans l'art de dissimuler un vrai drame. Doris ne parle jamais de son amoureux. Arthur n'évoque pas le cimetière où sa famille occupe une rangée complète. Nora et Samuel font toujours semblant que leurs enfants téléphonent, envoient des cartes et sont sur le point de quitter un moment leur vie compliquée pour passer les voir. Margot McLaughlin mentionne rarement le prénom de son mari alors que sa chambre ressemble à un cabinet de curiosités érigé à sa mémoire. Quant à Ghislaine, même sous la torture elle ne déballerait pas les raisons qui font que sa soeur constitue sa seule famille.»

Je suis là, Christine Eddie. Alto, 160 pages.