Dans Made in Mauritius, Amal Sewtohul a eu l'idée originale de donner la vedette à un conteneur. Cette boîte de métal est au centre d'une histoire tumultueuse qui raconte l'improbable amitié entre deux jeunes Mauriciens sur fond de triangle amoureux, de troubles politiques et d'accession à l'indépendance. L'auteur a remporté le Prix des Cinq continents de la francophonie 2013 pour ce charmant roman initiatique qui se déroule sur trois décennies. Nous l'avons rencontré lors de son passage à Montréal.

Le conteneur est un élément central de votre livre. Quel symbole faut-il y voir?

Certaines personnes me disent que mon conteneur est comme le robot Moulinex de la cuisine. Il y a l'histoire mauricienne qui rentre dedans, avec ses différentes communautés, ses cultures, il les hache menu et ça ressort transformé de l'autre côté... Mon interprétation à moi, c'est que ce conteneur symbolise la mondialisation, dans le sens où c'est un symbole du commerce international et que l'île Maurice est née du commerce. Le conteneur symbolise aussi les gens qui sont venus dans ce pays, dont certains étaient plus ou moins de la marchandise.

Autre chose étonnante, cette amitié improbable entre un jeune Chinois et un jeune musulman. Dans un pays culturellement compartimenté comme l'île Maurice, c'est plutôt rare, non?

Ça existe. On voit des trucs. Il y a des Chinois qui épousent des musulmans. J'en ai connu. C'est improbable, mais pas impossible. Il y a eu des couples assez étonnants dans l'histoire de Maurice.

Votre regard sur Maurice est tendre, mais critique. On a l'impression que le pays a son charme, mais qu'il est bon d'en sortir.

Il faut pouvoir en sortir au moins de temps en temps, c'est sûr. Parce qu'une île, quand même, c'est étouffant. Aujourd'hui, de toute façon, les jeunes Mauriciens s'évadent dans leur esprit. Par exemple, ils ne regardent pas la télé nationale, ils regardent les chaînes françaises câblées. Ou des films indiens. Sur l'internet, ils sont copains avec des types en Angleterre. Du coup, on dirait que le soir, à Maurice, personne n'est là mentalement. C'est assez curieux. Ils préfèrent rêver qu'ils sont ailleurs.

Dans votre livre, on sent quand même ce besoin de partir physiquement. Pas seulement dans sa tête...

Oui, c'est très fort. On est un peuple de migrants, vous savez. Nos ancêtres arrivaient de Chine, de l'Inde, de la France. C'est naturel chez nous. Ce sera toujours comme ça. Pour beaucoup de gens, Maurice est un peu pays de transit.

Diriez-vous que l'identité mauricienne est claire?

Elle est en construction. Elle cherche des symboles. Elle est en quête d'images. Comme on n'a pas un passé de gloire historique, notre patriotisme est plutôt basé sur l'intime et sur la nostalgie. Mais ce sont des images idéalisées.

L'accession à l'indépendance (1968), qui sert de toile de fond à une bonne partie du livre, n'a pas permis de cristalliser cette identité?

Non, au contraire. Ç'a été un moment de grande division. Les hindous voulaient l'indépendance. Les créoles et les musulmans n'en voulaient pas, parce que cela signifiait une domination par les hindous. Ça a créé beaucoup de déchirements. Que les politiciens n'ont pas intérêt à réparer. Ils entretiennent savamment ces divisions. Hindous, musulmans, Chinois, créoles... C'est tellement commode d'appuyer sur le bouton ethnique, sur la peur de l'autre pour mobiliser une grosse masse de votants...

Cette cohabitation modèle est donc un mirage?

Entre les élections, ça va. Mais dès qu'il y a des élections, il y a de mauvais réflexes qui ressurgissent. C'est devenu une façon de faire de la politique. Le problème, c'est que les politiciens ont créé un «surrespect» de la religion et des valeurs traditionnelles. Un «surrespect» de l'identité. Une surpromotion exagérée des formes différentes de cultures dans l'île. Et du coup, la société n'avance pas. On est tout le temps dans des fêtes religieuses. Il y a trop de religiosité. La religiosité effraie les artistes, elle empêche les débats parce que tout le monde est dans la croyance.

L'indépendance n'aura donc été qu'une semi-réussite?

C'est une réussite économique, c'est sûr. Mais les gens se sentiraient plus à l'aise s'il n'y avait pas cette compartimentation entretenue. Ils préfèrent économiser pour envoyer leurs enfants à l'étranger, plutôt que d'investir dans des choses citoyennes. On a tellement travaillé à faire sentir les gens différents que ça casse la synergie.

Cette petite île a toutefois donné de grands écrivains. Malcom de Chazal, Ananda Devi, J.M.G. Le Clézio. Peut-on parler d'une littérature mauricienne?

Oui. En général, c'est une littérature assez sérieuse et engagée. Très française. Qui se situe plus dans le milieu urbain. Ce n'est pas une littérature qui s'intéresse beaucoup à la nature. Ce qui unit les écrivains, c'est beaucoup un rejet de l'image touristique. Une sorte d'écoeurement. Et une volonté de mettre en avant le côté sombre de la société mauricienne.

Le Clézio et Ananda Devi étaient dans le jury qui vous a accordé le Prix des Cinq continents. Ont-ils été accusés de favoritisme?

Bon, ils n'étaient que 2 sur 10. Et je ne crois pas que les autres juges étaient des petites natures qui se laisseraient influencer. Lise Bissonnette, par exemple. Je ne l'ai pas rencontrée, mais j'imagine que ce n'est pas une dame qui se laisse facilement intimider!